C’est presque un jour anniversaire. Il y a cinquante ans, Mario Rigoni Stern recevait le prestigieux prix Viareggio de la première œuvre pour Le Sergent dans la neige. À cette évocation, l’écrivain est intarissable. Il vous raconte ce samedi faste, de l’interminable périple ferroviaire (il lui a fallu prendre cinq trains) jusqu’à son arrivée sur la côte toscane, puis sa rencontre avec Carlo Emilio Gadda dans l’ascenseur de l’hôtel, sans oublier le blâme infligé par son chef de bureau à l’Office du cadastre « pour absence non justifiée ». Résultat : notre auteur entra en littérature, cette soirée-là, par la grande porte mais perdit « un jour de paie et un jour de congé ».
En cette après-midi d’été caniculaire, c’est sur un banc, dans le parc vallonné de Kirke qui signifie petite église que Mario s’est prêté au jeu des questions. L’ombre des arbres séculaires apporte une fraîcheur inespérée tandis que les stèles et les plaques en mémoire des soldats tombés au champ d’honneur donnent à l’endroit une solennité toute particulière. Rien ne troublera la quiétude de l’entretien, hormis l’arrivée impromptue d’une vieille dame, la tête baissée, alléchée par un bout de banc. À la voix de Mario, qui doit se reconnaître entre cent, l’intruse lâchera un tonitruant « Oh, maestro ! », se relevant tel un ressort, le regard empli de ferveur et d’effroi, devant quelques Français éberlués.
Commençons par le début. Vous êtes un écrivain autodidacte. Dès votre adolescence, vous teniez déjà un journal. L’écriture était-elle une vocation ?
J’ai commencé à tenir un journal à 16 ans. Au jour le jour, je notais mes sorties en montagne, mes rencontres avec les filles, les travaux dans les bois, les balades à ski avec mes amis. Mais il n’y avait pas une volonté de publier. Ces notes m’ont d’ailleurs servi pour l’écriture de mon dernier livre La Dernière Partie de cartes. Tous les noms, les dates et les faits que je cite sont justes.
Si j’ai confié l’ensemble de mes manuscrits à l’Université de Pavie (un fonds qui contient également ceux de Moravia, Calvino, Vittorini, etc.), en revanche, je garde précieusement ces archives de jeunesse.
Même sous l’uniforme italien, sur le front russe en 1942, vous continuiez de prendre des notes. L’écriture avait-elle une valeur thérapeutique à cette époque ?
Peut-être. Tout en précisant que mon carnet se termine le 31 décembre 1942. Ce qui explique qu’il y ait très peu de dates ensuite dans Le Sergent dans la neige. Il était impossible d’écrire : à cause du froid, des combats, de la faim, du sommeil. Quand j’ai été prisonnier dans un lager en Pologne l’année suivante, j’ai pu retranscrire, de mémoire et d’une manière encore plus vive, tout ce dont je me rappelais, de la bataille du Don à la Biélorussie.
À l’instar de Primo Levi, La Divine Comédie de Dante vous a toujours accompagné.
J’ai perdu une première fois Dante en Albanie, puis une seconde fois près de Stalingrad le...
Dossier
Mario Rigoni Stern
Histoire de l’homme sérieux
octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47
| par
Philippe Savary
Formidable conteur, Mario Rigoni Stern est un témoin éclairant de la rencontre entre la petite et la grande Histoire. Entretien sur ses terres, à Asiago, pour la sortie de son nouveau livre La Dernière Partie de cartes.