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Essais Kleist, une clarté nocturne

octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47 | par Richard Blin

Pierre Mari, dans une belle méditation, rend sensible l’existence confusément désaccordée du dramaturge allemand, suicidé à 34 ans.

Kleist, un jour d’orgueil

Passionnant, lumineux, essentiel, le dernier livre de Pierre Mari. Un livre qui réhabilite l’approche biographique, la fonde sur une sympathie vraie, sur l’acuité d’un regard intérieur, et non sur on ne sait quel catéchisme à la mode. Ce qui prévaut ici ne relève pas de l’explication mais de l’énigme, tient de cette forme supérieure d’intuition et de perception qui seule peut permettre d’approcher un peu la clarté nocturne du seul dramaturge digne de Shakespeare ou d’Eschyle : Heinrich von Kleist (1777- 1811).
Du destin coagulé, des fractures debout, de la dépossession de soi sublimée, Pierre Mari nous met face à la matière noire d’une vie, celle d’un homme qui l’aura constamment cherchée, sa vie, « entre commencement pur et lignes de hasard, acharnement de conscience et oubli éperdu exaspérant l’alternative jusqu’à créer un champ de forces halluciné ». Ne s’attachant qu’aux douze années séparant une lettre en forme de dissertation morale « où le projet d’émancipation et de perfectionnement de soi se développe dans une clarté éminente », et le billet lyrique des « Litanies de la mort » adressé le dernier jour à Henriette Vogel, sa compagne de suicide, Pierre Mari s’ouvre à l’expérience existentielle d’une vie marquée par le souci de l’œuvre idéale autant que par la puissance tyrannique du principe de contradiction.
S’ouvre et s’interroge car la vie de Kleist est un chapelet d’échecs. Une existence comme confusément désaccordée, bizarrement double, fondamentalement écartelée entre des perspectives radicalement divergentes. Être « soldat », être « fiancé », être « fonctionnaire », il ne peut s’y résigner. À peine s’est-il fixé qu’il lui faut se détourner, envisager d’autres possibilités. Processus de conversion doublé d’un perpétuel désir de dépaysement et de dépassement. « Kleist ne connaîtra que des heurts de formules sommaires, des accélérations entrecoupées d’enlisements, des généralités brutales où il prétendra s’enfermer et qu’il répudiera presque aussitôt ». Autrement dit, il ne cessera de commencer.
C’est que, sur fond de mort et de désastre, la question du bon usage de soi et de sa vie ne cessera de le hanter. Mais là où les autres sont capables de « renouer leur propre fil » ou d’ « assembler à la hâte des morceaux épars qui trouveront presque aussitôt leur loi d’emboîtement », lui ne peut rien enchaîner, comme si « rien ne servait à rien, ni ne préparait rien, ni ne succédait à rien ». Comme s’il n’y avait que « des coups d’éclat surgis d’un grand fond atone, des cristallisations qui opèrent en un instant et d’un seul mouvement, et qui sont toujours à elles-mêmes leur propre fin. Des singularités inexorables, en somme, qui nous préservent du zèle linéaire de l’existence ».
C’est cette existence en perpétuelle ébullition que nous rend sensible Pierre Mari. Soulignant les « lignes d’emportement » ou les « lignes d’incongruité » d’une vie passée à éprouver dans tous les domaines les limites de résistance, il donne à l’enchevêtrement d’incertitudes d’un esprit toujours prêt à prendre son envol fût-ce dans la mort un relief et une lumière qui éclairent magistralement ce qui ne fut qu’excès. Kleist brûla après des mois et des mois de travail acharné, le manuscrit de Robert Guiskard, sa première tragédie, celle qui devait lui donner gloire et immortalité. Mais n’y voir que la conséquence de l’impasse esthétique où s’était enfermé Kleist « en voulant superposer tragédie antique et drame shakespearien », n’a guère de sens nous dit Pierre Mari. « D’autres enjeux s’imposent, qui relèguent à l’arrière-plan les questions dramaturgiques. Qu’est-ce que cette pièce, en effet, sinon une furieuse dépense d’énergie qui court de la Suisse à la mer du Nord, entrecoupée de stations utopiques vite dévastées ? » En cinq ans, il écrira à peu près tout ; Penthésilée, les Nouvelles, Le Prince de Hombourg, l’essai Sur le théâtre de marionnettes, pour ne citer que quelques titres.
Sur cette vie qui ne fut qu’un drame, Pierre Mari écrit des pages rares tant elles s’attachent à l’invisible d’une vie créatrice, aux enjeux de l’achèvement et de l’inachèvement, aux vertus de l’inconnaissable et de l’imprévisible. Un livre qui est aussi une ode à la vie comme aléa, désordre, incertitude. Mais « n’est-ce pas, au fond, la seule façon de vivre et de mourir ? Chercher des chances, des combinaisons, des hasards (…) qui nous délivrent de l’effectuation des choses, qui les fassent basculer, de ce futur pénible où nous ne les rejoindrons jamais, vers un point situé en amont de notre présence et nous laissent, ivres et affranchis, en proie à cette passivité fascinée qui est peut-être le mode le plus pur de l’aventure ? »

Kleist, un jour
d’orgueil
Pierre Mari
PUF
150 pages, 16

Kleist, une clarté nocturne Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°47 , octobre 2003.