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Domaine étranger Classes à risques

novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48 | par Thierry Guinhut

En donnant voix à des conscrits humiliés et meurtris, Yehoshua Kenaz montre comment l’armée israélienne cimente le sentiment national.

Dès l’incipit, la conscience subit l’épreuve d’une extinction suffocante et lumineuse, comme pour attacher sans recours le lecteur et le narrateur dans une expérience initiatique mimétique de la mort. Cette première étape de l’insertion des jeunes recrues dans l’armée israélienne, n’est pourtant que le mince prélude d’une longue chaîne d’humiliations, souffrances reçues et infligées, pendant ce qu’il faut bien appeler un état de guerre permanent.
Infiltration est un livre dense où les comportements d’un groupe de « déficients » physiques dans les situations extrêmes du service militaire et de la guerre sont radiographiés. Ils sont aussi divers que les composantes de la diaspora juive. Venus des quartiers riches de Jérusalem, des bidonvilles ou des kibboutzim, aux origines ethniques disparates, ils se donnent des surnoms loufoques ou tragiques : Double-Zéro, Hérisson, Miha l’Idiot, Peretz-crise-de-nerfs… L’un préfère le foot, l’autre la philosophie. Pendant trois mois de l’été 1955, dans une base isolée du désert du Néguev, nos tour à tour héros et anti-héros revivent et amplifient l’expérience personnelle de l’écrivain qui trouva ainsi l’adhésion de nombreux lecteurs passés par le même moule, quoique l’armée israélienne, aux dires de Kenaz lui-même, fasse aujourd’hui preuve d’une moins sévère discipline. Il y a ceux qui sont « cassés pour le restant de leur vie », ceux qui découvrent, par-delà les barrières sociales ou culturelles, l’amitié, ceux qui, comme Double-Zéro au sortir du livre, ont un enfant et s’écrient : « Il parlera l’hébreu comme ils le parlent (…) Je vais l’élever comme ces enfants beaux et forts, pour qu’ils soient dignes de ce pays ».
Malgré l’horreur de la « vindicte militaire », des vexations, des blessures physiques et morales, il s’agit de montrer également comment tout cimente le sentiment national israélien. Sans dérive nationaliste d’ailleurs. Même lorsqu’une des recrues raconte l’histoire du mauvais élève qui profane avec ses excréments la carte d’Israël… La légitime nécessité de se protéger contre des voisins plus ou moins bien intentionnés, contre le terrorisme, et, peut-être, le colonialisme hébreu et son expansionnisme discutable, entraînent les êtres dans une spirale de coups de force autant que de dégradations de la dignité humaine. C’est cette « infiltration » qui empoisonne les âmes et les corps, qui lamine l’identité des individus et qui cependant les immunise contre la perte d’identité du peuple hébreu : « c’est notre pays et nous en sommes responsables. Ça ressemble à de la phraséologie sioniste, mais je n’en ai pas honte » se défend Hérisson. Le moralisme tout au long présent peut irriter un lecteur trop sensible au politiquement correct…
La construction fleuve est efficace, la tension entre les voix des appelés et la chronique documentaire est imparable. C’est un ample parfois trop ample roman d’apprentissage à thèse. Et l’on pense à le placer à côté du récit de l’Espagnol Antonio Muñoz Molina, Ardeur guerrière (Seuil) dans lequel il retrace son service militaire pendant les années de plomb du franquisme, sans vouloir mettre dans le même sac fascisme et sionisme. Yehoshua Kenaz est, avec Amos Oz et Abraham B. Yehoshua, l’un des trois « grands arbres » de la littérature israélienne en hébreu. Ce traducteur émérite de Stendhal, Flaubert, Montherlant et excusez du peu de l’œuvre complète de Simenon, vient également de faire paraître Paysages aux trois arbres (Actes Sud), recueil de deux récits où luit le thème de l’incendie, placards électriques ou cage d’escalier causant la mort d’une vieille dame, comme si la peur, la menace de la mort brûlait toujours au cœur de la nation israélienne.

Infiltration
Yehoshua Kenaz
Traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech
Stock
544 pages, 23

Classes à risques Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°48 , novembre 2003.