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Égarés, oubliés Hémery, au-delà du roman

janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49 | par Éric Dussert

Traducteur, Jean-Claude Hémery nous a permis de lire Nietzsche, Thomas Bernhardt et Arno Schmidt. Écrivain, il s’est opposé au sacro-saint roman dans des proses pertinentes et originales.

Si les lecteurs d’Arno Schmidt connaissent bien le nom de Jean-Claude Hémery, on n’entend guère parler de lui dans les cercles littéraires, institutions légères, vouées à dévorer sans fin de l’actualité en rejetant les œuvres sitôt reniflées. Mais Jean-Claude Hémery n’aura pas insisté… Défendant de présenter sa photographie cette page constitue donc une première, fuyant les salonnards, refusant les entretiens s’ils ne concernaient pas son travail de traducteur, il n’aura eu de rapport étroit qu’avec de rares personnages littéraires dont un certain Emil M. Cioran avec lequel il soignait son insomnie en de longues promenades nocturnes dans le quartier des Halles encore intact.
Né le 27 septembre 1931 près de Belfort, Jean-Claude Hémery n’aura pas un parcours commun. Fils d’un ingénieur et d’une femme au foyer, il habite tout d’abord une maison située sur le Ballon d’Alsace avant que la famille ne migre en 1933 à Nice où se déroulent ses premières années. Pendant la guerre, il est évacué en Suisse, seul, et n’apprendra qu’à son retour en 1945 le suicide de sa mère. Le traumatisme est grand pour l’adolescent qui se retrouve d’autant plus isolé que son père se désintéresse de lui et lui fait suivre en internat une scolarité secondaire entre Belfort et Vesoul, cette riante cité où il rencontre celui qui deviendra son grand ami, Jean Linard un auteur de fanzines et de fantaisies carabinées, nous y reviendrons un jour. À la suite de problèmes financiers, des membres de sa famille lui offrent de poursuivre ses études au lycée Louis-le-Grand et à Lakanal. Il a pour condisciple Jean-Claude Carrière et Gérard Genette mais ne les fréquente pas. Jean-Claude Hémery, fauché, est déjà un type à part.
Malgré ses années de khâgne et d’hypokhâgne, il plaque tout par méfiance de l’université et se retrouve pion en Algérie, à Sétif et Alger. Il ne perd pas son temps : il apprend l’allemand pour faire de la philo, passe son certificat puis une licence libre et entame sa première traduction avec Geneviève Serreau : Brecht dramaturge (L’Arche, 1955). Il fournira ensuite, et c’est colossal, des œuvres de Nietzsche, Thomas Bernhard, Elias Canetti, Botho Strauss… C’est aussi lui qui proposera pour la première fois aux lecteurs français l’étonnant Arno Schmidt dans les Scènes de la vie d’un faune (Julliard, 1962), avant d’être associé par le malicieux Maurice Nadeau à la traduction de La République des savants (Julliard, 1964) confiée à son épouse, traductrice elle aussi, Martine Vallette.
Après avoir développé une bougeotte aiguë qui l’aura mené en 1955 à Vienne en tant qu’assistant de français, il visite l’Europe, le Proche-Orient et, avec sa femme la Chine, tout en multipliant les randonnées pédestres.
Son parcours littéraire est unique. Nommé professeur durant la Guerre d’Algérie pour avoir refusé le peloton d’élève-officier, il débute dès février 1959 avec un premier écrit, « Le poil de Descartes » qui paraît dans Les Lettres nouvelles de Maurice Nadeau. Celui-ci deviendra son éditeur exclusif en accueillant dans sa collection homonyme (« Lettres Nouvelles ») toute son œuvre de fiction, soit quatre récits puisque le terme de « roman » ne pouvait convenir au réfractaire Hémery.
Trois ans avant Schrumm Schrumm ou l’excursion dominicale aux sables mouvants de Fernand Combet (Pauvert, 1966), Jean-Claude Hémery publie son Rapport au Grand Conseil (Julliard-LN, 1963) qui obtient un beau succès d’estime, prolongé encore par la parution de Curriculum vitae (Denoël-LN, 1966) qui, déclaré favori pour les jurés Renaudot, finira pourtant aux orties parce qu’il était très urgent de consoler José Cabanis, candidat malheureux du Goncourt ! Hémery publiera encore Anamorphoses (Denoël-LN, 1970) et Faire-part (Denoël-LN, 1977), deux livres audacieux où s’expriment son goût pour la prosopopée et les expériences littéraires telles que l’emboîtage ou la mise en mots du ruban de Moebius.
En plein boom du Nouveau Roman et du structuralisme, Hémery s’oppose donc au roman traditionnel qu’il honnit comme le faisait Cioran, de même qu’il s’insurge contre la vénalité de certaines vocations et les mauvaises habitudes des gensdelettres. Travaillant à mi-temps pour pouvoir écrire et traduire, il usine pour ses proches des tapuscrits reprographiés en couleur à l’enseigne des Inéditions anthumes ou de la maison Dutiroir limited. Sous les pseudonymes d’Hector Dusoir ou de Jérôme Ployeux, il diffuse ainsi des Laconeries ironiques, dans un esprit proche de celui d’André Frédérique, ou encore Le Champ du signe, un recueil de pensées et proses courtes sur la littérature et son usage, des pages pleines d’esprit où l’on découvre ce que peut-être, par exemple, le « roman alsacien », un genre haut en couleur, soit dit en passant.
Décédé le 28 janvier 1985 à Paris, Jean-Claude Hémery mérite d’être relu attentivement. C’est ce que les éditions du Murmure vont permettre en rééditant prochainement ses quatre livres en un seul. Dix-neuf ans après la disparition de cet homme imaginatif et secret, il faut espérer que ce murmure-là ne sera pas couvert par le tintamarre des actualités tapageuses du Tout-Paris littéraire et grotesque.

* Éditions du Murmure 9, allée des Marronniers 21800 Neuilly-lès-Dijon.

Hémery, au-delà du roman Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°49 , janvier 2004.