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La révolution « Passez votre chemin ! »

février 2004 | Le Matricule des Anges n°50 | par Christian Garcin

À peine arrivé de l’étranger, j’avais décidé d’aller saluer ma grand-tante avant de rentrer chez moi. Devant sa porte j’éclatai d’un rire aphone en constatant qu’elle y avait scotché un papier sur lequel étaient inscrits les mots suivants : « Passez votre chemin ! » Évidemment, je frappai et, sans attendre de réponse, entrai, ainsi que j’ai coutume de le faire, car je savais bien que cette injonction ne m’était nullement adressée, qu’elle était même adressée à la terre entière sauf à moi, et quelques rares autres personnes. Dans le vestibule, tout en répondant « C’est moi » à ma grand-tante qui demandait « C’est toi ? », je remarquai un autre morceau de papier scotché sur la même porte, mais cette fois-ci à l’intérieur, sur lequel était écrit « Révolution ! ». Sans doute la nostalgie de ses années de militantisme pur et dur, pensais-je car ma grand-tante avait été communiste fervente dès son plus jeune âge jusqu’en 1956, un peu moins fervente ensuite « juste par hygiène », disait-elle parfois.
« Non mais tu les as vus, tu les as entendus ? », me demanda ma grand-tante lorsque après une tasse de thé et deux macarons je voulus en savoir plus sur ces mots, « Passez votre chemin », scotchés à sa porte et suivis d’un point d’exclamation, « il faut éteindre la télé et la radio, ne plus lire les journaux, il faut fermer les yeux, les oreilles et voilà tout. C’est ce que j’aurais dû faire depuis longtemps, ajouta-t-elle, depuis que je me suis rendu compte que tout cela nous salissait les yeux et l’esprit avec infiniment plus de subtilité que tous les moyens mis en œuvre dans toutes les dictatures pour anéantir l’esprit critique de chacun. Avant, le pouvoir était vertical et autoritaire, aujourd’hui il est horizontal et consensuel, par le fait même des manipulations médiatiques : l’information n’existe plus, il n’y a plus que de l’ »événement« , le »témoignage« a remplacé l’analyse, la recherche de l’émotion la relation objective des faits, le divertissement crétin envahit tout, et la doxa libérale est devenu seul discours. Tôt ou tard il faudra renverser tout cela, dit ma grand-tante en s’agitant quelque peu, moi je n’ai plus l’âge, mais qu’est-ce que qu’est-ce que vous attendez, vous autres, pour assiéger les chaînes de télévision et la plupart des radios et des journaux, qui tous diffusent en boucle les mêmes mensonges avec les mêmes mots ? La véritable révolution aujourd’hui, ajouta-t-elle, ce serait cela : supprimer la télévision. Fini, tout ce cirque du pouvoir et de l’image. En tout cas, ce serait un bon début. » Elle but une gorgée de thé. « On ne s’est tout de même pas battus pour ça ! », reprit-elle d’un air dédaigneux.
« Tout à fait d’accord, dis-je en croquant un autre macaron. C’est pour cela, ce Révolution avec un point d’exclamation scotché à ta porte ? » « C’est bien plus que cela », me répondit d’un air féroce ma grand-tante, qui dans sa jeunesse fut de maints combats, et harangua maintes foules sur maintes barricades, « parce que cela, il faudrait que ce ne soit qu’un début : je prétends, moi, qu’une révolution est éminemment souhaitable et nécessaire, sinon indispensable mais une vraie révolution, vois-tu, pas une de ces plaisanteries comme les révolutions numériques, technologiques ou je ne sais quoi, évidemment, fit-elle avec un sourire malicieux, pas même une de ces »révolutions de velours« qui ne sont que retours à un ordre détestable dont se gargarisent les frileux qui font l’opinion, non, il faut une révolution totale, violente, qui embraserait tout, non seulement le pouvoir médiatique et télévisuel exorbitant abandonné aux mains grossières des animateurs auto-proclamés journalistes et autres amuseurs du ras des pâquerettes, mais aussi et surtout les pantins interchangeables qui nous gouvernent, les islamistes barbus qui veulent bouffer du juif et avilir les femmes, les cow-boys arrogants qui veulent bouffer l’ennemi du moment qu’ils ont eux-mêmes fabriqué, les discours de la rue qui puent à l’infini le fascisme quotidien, et la bêtise rampante qui entretient tout ça, la misère intellectuelle, l’esprit qui a remplacé l’intelligence, la finesse qui a remplacé la profondeur, l’ironie qui a remplacé la réflexion, la connaissance stérile qui a remplacé l’idée, la petite phrase qui a remplacé la phrase, comme a dit un poète oui, il faut une révolution totale, un embrasement généralisé, une Apocalypse, car ce monde est invivable, sa clarté sans mystère est aveuglante, et seuls peuvent le supporter ceux qui fuient, ceux qui d’une manière ou d’une autre fuient dans n’importe quelle drogue, n’importe quel étourdissement, l’abrutissement télévisuel, la fête à outrance, l’alcool, la folie lente, la mort à petit feu, ou bien fuient à l’intérieur d’eux-mêmes pour n’en revenir jamais. Et aussi, continua ma grand-tante après avoir fini sa tasse de thé au lait, il nous faut embraser tout cela par nous-mêmes, nous, l’Occident dominateur et arrogant, sinon cela s’embrasera de l’extérieur, car cela s’embrasera de toute manière, et l’ordre du monde qui en résultera sera infiniment pire que les pires prévisions des pires pessimistes des siècles qui nous précèdent. » Voilà ce que me dit ma grand-tante ce jour où, à peine rentré de l’étranger, j’avais décidé d’aller lui rendre visite. C’était la dernière fois que je la voyais et je ne le savais pas : elle mourut peu après d’une rupture d’anévrisme, violente et définitive, comme l’embrasement qu’elle souhaitait. Il commençait à se faire tard, aussi je pris congé, l’embrassai sur le front, comme à l’accoutumée, et rentrai chez moi exalté et songeur, non sans avoir jeté un œil sur les deux bouts de papier scotchés à sa porte, intérieur et extérieur, sur lesquels étaient inscrits comme une ultime profession de foi les mots suivants : Révolution ! et Passez votre chemin !
par Christian Garcin*

* Écrivain
> Dernier livre publié :
Fées, diables et salamandres (Champ Vallon)

« Passez votre chemin ! » Par Christian Garcin
Le Matricule des Anges n°50 , février 2004.
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