En quête de miracle
Un homme qui entasse des sucettes. Un autre qui filme une séquence intitulée « Se couper les cheveux avec deux paires de ciseaux », et puis encore une autre : « Gratter deux murs à la fois » (les titres ne mentent pas sur le contenu). Un type qui demeure dans une cage vitrée en compagnie de quelques mouches, qui s’ouvre le bras avec une lame de rasoir, et d’attendre que les mouches investissent la plaie. Une femme qui ambitionne de serrer la main à tous les employés du service sanitaire de la ville de New York, et ça lui prendra 11 mois et 2 jours.
Il ne s’agit pas d’une énumération à visée poétique, ou encore de propositions de fiction. Ces événements ont bien eu lieu. Ils ne constituent qu’un échantillon des « cinquante épisodes extraits des annales de l’art contemporain » que recense l’écrivain et critique d’art américain Raphaël Rubinstein. Celui-ci, en de très courts textes, se borne à relater les faits et gestes de divers artistes durant les dernières décennies. L’entreprise de ce mince recueil semble minimale, les récits ne s’accompagnent d’aucun jugement explicite, tout au plus peut-on suspecter ici et là un ton pince-sans-rire ; toutefois, une drôle d’impression finit par sourdre du livre, comme s’il s’agissait de révéler, par un geste d’ethnologue, l’instauration d’un nouveau culte. Les officiants de l’Art paraissent tous, comme l’indique sobrement le titre du recueil, en « quête de miracle ». Leur vocabulaire est fait de processus, de projets, de démarches et de contraintes : des géométries asphyxiantes, qu’on devine parfois visant au sacré. Comme si l’arbitraire délirant de la performance, joint à la précision maniaque de son exécution, étaient confusément compris, pour ces consciences exténuées, comme seuls susceptibles de faire enfin advenir quelque chose.
En quête de miracle de Raphaël Rubinstein
Traduit de l’américain par Marcel Cohen
Éditions Grèges, 74 pages, 12 €