De Godot à Zucco (1. Continuité et renouvellements)
Dans son compte-rendu d’Avignon en 1987, Michel Vinaver avait proposé comme « onzième remède à effet immédiat » pour améliorer l’état de santé de l’édition théâtrale, « la publication, en co-édition, d’anthologies de théâtre contemporain ».
C’est peut-être pourquoi l’anthologie qui vient de paraître aux éditions Théâtrales lui est en partie dédicacée. C’est un énorme boulot auquel s’est livrée l’équipe éditoriale constituée de Michel Azama, Jean-Pierre Engelbach et Sylvie Claval aidés par Michel Corvin, Jean-Claude Lallias, Joseph Danan et Jean-Pierre Ryngaert. Pour Michel Azama : « Parodiant Duras, on pourrait dire de cette anthologie qu’on ne peut pas la faire, et on la fait quand même ». En effet, une anthologie demande un gros travail de synthèse sans pour autant bénéficier du recul nécessaire concernant les pièces écrites entre 1950 et 2000. De plus, face au foisonnement des écritures, il est impossible d’être exhaustif ou encore de rendre compte de la complexité de l’œuvre d’un auteur en permettant de découvrir au mieux un ou deux extraits de ses pièces. L’entreprise apparaît donc à la fois passionnante et frustrante. Mais le grand mérite de cet ouvrage, c’est de déclencher des envies de lectures. En effet dans ce premier volume une soixantaine d’extraits assez longs (de deux à quatre pages) sont publiés. De plus, l’équipe éditoriale cherche à donner des clés et des repères à un public le plus large possible. Le but, c’est de contrecarrer l’idée selon laquelle le théâtre d’aujourd’hui est difficilement accessible. Comme le signale Michel Azama dans une introduction : « On peut facilement imaginer que les écritures contemporaines vont désarçonner plus d’un lecteur non prévenu. C’est qu’elles sont « libres », et non construites à partir de catégories qui refléteraient une ancienne conception du monde, terre, ciel et enfers (…) conception qui s’est perpétuée depuis les anciens Grecs jusqu’à nos grands-parents, mais ne correspondant plus à la perception contemporaine de l’Univers. Deux guerres mondiales, quelques révolutions et une bombe atomique ont pulvérisé nos certitudes et changé la face du monde. Nous sommes entrés dans un doute profond et un questionnement du langage, des autres, et de nous-mêmes. La littérature tout entière vit cette « ère du soupçon » dont Nathalie Sarraute a parlé la première en 1956. (…) Nous sommes passés d’un théâtre de l’action, du « faire », à un théâtre du « dire », du « dire » de l’être inquiet, en quête d’une nouvelle identité ».
Ce premier tome s’attache aux formes de l’écriture théâtrale, en essayant de donner un aperçu de ses mutations et de ses héritages, avec plusieurs textes théoriques qui structurent l’ouvrage. Tout un chapitre traite ainsi de l’éclatement des formes, avec des extraits de pièces mettant en cause la notion de fable, d’autres celle de personnages, d’autres encore mettant en jeu des ruptures temporelles et spatiales ou un renouveau de la notion de chœur… Un autre chapitre s’attache aux inventions de la langue et c’est un plaisir de ressentir toute la verve, l’inventivité, la musicalité de la langue faite chair.
Deux autres volumes devraient paraître en juin et septembre prochains. Le deuxième s’intitulera Récits de vie : le moi et l’intime et le troisième Le Bruit du monde. Plus de mille pages au total et deux cents extraits de pièces pour cette balade théâtrale.
De Godot à Zucco
Anthologie des auteurs dramatiques de langue française 1950-2000
1 : Continuité et
renouvellements
Michel Azama
Éditions Théâtrales
350 pages, 20 €