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Intemporels L’homme-taupe

juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54 | par Didier Garcia

Jour après jour, Thierry Metz a consigné la sale besogne d’un chantier, où vivaient encore quelques oiseaux. Entre labeur et poésie.

Le Journal d’un manoeuvre

Un journal écrit dans les parpaings et le mortier, arraché au poids de la pelle et au bruit du marteau piqueur (« On n’entend plus rien. Même plus le bruit »), voilà qui n’est pas courant. Rares en effet les journaux où un auteur s’emploie à étançonner, à entretenir son lecteur de gâchées de chaux ou de murs de refend. C’est que ce journal n’a vraiment rien de littéraire : aucune confidence ici ni sur les lectures de l’écrivain ni sur son travail d’écriture, mais le mot à mot de son labeur.
Thierry Metz est né à Paris en 1956. Pendant de nombreuses années, il a vécu de travaux manuels, tour à tour dans des usines et des abattoirs. Encouragé à l’écriture par son épouse et par une période de chômage, il s’est alors lancé en poésie avant de publier quelques beaux textes (cf. Lmda N°22). Fin 1996, il séjournait à l’asile psychiatrique de Cadillac, séjour dont L’Homme qui penche a tenté de rendre compte, et dans lequel il constatait : « Je dois tuer quelqu’un en moi, même si je ne sais pas trop comment m’y prendre ». Six mois plus tard, la solution était trouvée : Thierry Metz se donnait la mort.
Publié en 1990 (après deux volumes parus chez Jacques Brémond), ce Journal s’ouvre sur une embauche qui lui vient d’une boîte d’intérim : on lui propose un contrat dans le bâtiment en tant que manœuvre, c’est-à-dire « le boulot comme une absence ». Il s’agit pour l’équipe de transformer « une fabrique de chaussures en résidence de luxe » dans un quartier où vivre « ne donne lieu à rien ». Un chantier qui, dans ce journal, court de mi-juin à mi-novembre, et plus précisément de la date d’embauche à la fin du gros œuvre.
Dès qu’il le peut, quand le labeur quotidien ne le laisse pas exténué, Thierry Metz note, ainsi que l’écrit Jean Grosjean dans sa préface lapidaire, « la part respirable des heures qu’il a traversées ». Et du respirable, il s’en trouve peu. Chaque jour, le manœuvre redevient « l’homme-taupe » qu’il était la veille et qu’il sera le lendemain, un « homme-taupe » qui semble devoir sa survie à la seule compagnie des oiseaux, car même au milieu des parpaings on peut se régaler des roucoulades amoureuses des pigeons (être manœuvre, d’ailleurs, c’est quand même un peu faire l’oiseau : monter, descendre, ramasser des brindilles, partir se perdre dans les branches d’un échafaudage).
La matière de ce journal reste bien sûr le chantier, sa progression, mais il s’arrête volontiers sur les jours chômés, brèves parenthèses de vie où se glissent une partie d’échecs et quelques paroles échangées avec un ami (qui laisse en partant « une poignée de ses mots sur la table et le rire de ses mains »). Le retour du lundi prend alors les allures d’un drame : « Le lundi est une eau froide, une pluie glacée. On s’y risque à petits pas comme des oiseaux traversant une flaque, en sautillant ». Rien de bien roboratif en effet dans l’idée d’avoir de nouveau à creuser, combler des fouilles, même si, nonobstant la fatigue, ça vous laisse du temps pour penser : « On pourrait se contenter de ça, passer d’un chantier à l’autre, mesurer encore et encore ce qui nous sépare du premier pas. Du dernier ». Et à mesure que l’on avance dans les pages vraiment sèches de ce Journal, on se dit que le dernier pas n’est décidément pas très loin.
Si Thierry Metz consacre l’essentiel de ses pages aux pelletées du quotidien, il n’en délaisse pas pour autant ses camarades de chantier, qu’il parvient à saisir dans des portraits pour le moins singuliers. Ainsi Louis, la soixantaine, manœuvre lui aussi, « être alluvial qui chemine dans le courant de ses mains » ; ainsi Alain, qui « explore le silence », mais « quand il parle ses mots se touchent, s’aventurent, désignent ce qu’on n’avait pas vu ». On comprend qu’une telle sensibilité ne pouvait se satisfaire du seul travail de la pelle.
Ce Journal surprend d’abord par son ton et par sa brièveté : phrases de trois à quatre mots, parfois plus mais rarement bien longues, comme si Thierry Metz avait tenu à économiser ses forces, ou comme si l’épuisement ne lui avait jamais permis d’en écrire plus. Une langue économe donc, presque pingre, mais pas avare en images pour autant, à l’instar de ces voix qui, « brisant leur volière, s’élancent de voûte en voûte ». Et malgré ce quotidien de parpaings, on y trouve quand même de la douceur, une sensibilité qui retient, mise en mots dans des textes qui rappellent la manière de Prévert, pour tout dire une sensibilité qui incline à l’empathie. D’autant plus qu’elle donne lieu à des notes déconcertantes qui contrastent avec l’austérité du travail, des notes qui se mêlent aux phrases les plus prosaïques, celles qui disent la routine : le chef roulant chaque matin sa cigarette, abandonnant quelques paroles avant de partir pisser. En colligeant toutes ces notes, on tiendrait un curieux florilège : « Être graine pour revenir feuillage le soir », « Comment devenir rouge-gorge ici ? ». Du poétique, probablement. À moins qu’il ne s’agisse d’autre chose, car on y perçoit une manière de souffrance, ou d’espoir impossible, une douleur à vivre qui l’a peut-être rapproché du dernier pas.

Le Journal
d’un manœuvre

Thierry Metz
Folio
128 pages, 6

L’homme-taupe Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°54 , juin 2004.