Même si le nom de l’auteur de prime abord fait sourire, et surtout penser à un personnage des romans de Queneau, on imagine avoir affaire à un essai ou à un recueil d’hommages. Mieux encore : à des exercices d’admiration, genre littéraire que l’on croyait d’un autre siècle. Dès les premières lignes, on devine qu’il s’agira d’autre chose.
D’après son éditeur, Mathurin Maugarlonne est le pseudonyme d’un écrivain qui « a choisi de s’épargner le grand cirque médiatique de l’époque ». Selon l’auteur lui-même, il serait un « vieux fonctionnaire parlementaire », un habitué de l’hémicycle, un ancien membre du comité de rédaction des Temps Modernes (où il aurait signé des textes du nom de Verrès), et il compterait parmi ses amis Jean-François Lyotard, Jean-Marie Rouart, Roland Jaccard, Bernard-Henri Lévy, Bernard Kouchner, sans omettre les huit disparus auxquels il s’adresse ici…
Quoi qu’il en soit de son identité réelle (laissons à d’autres le soin de jouer les Sherlock Holmes), le ton est donné dès la préface : « La critique ne pense rien de bon de Sollers, mais le préfère quand même à Maugarlonne, qui l’essouffle. Devra-t-on s’excuser de ne pas être nul ? » On pressent aussitôt que les révérences attendues risquent d’être moins révérencieuses que prévu.
Maugarlonne dresse tour à tour les portraits de Parrain Jacques, José Lupin, Guy Debord, Jean-Paul Sartre, Vladimir Jankélévitch, Eugène Ionesco, Raymond Aron et Emil Cioran. Le premier n’est autre que le parrain de l’auteur, juif communiste qui n’a guère commis qu’un petit livre de souvenirs dans lequel il se décrit marchant à travers la campagne en compagnie d’Yvette et de leur petit chien. Quant à José Lupin, ce pédagogue a publié Le Temps perdu, qui commence par cette phrase où le génie fait rage : « Mon collègue M. Beller, professeur de troisième au collège de Romorantin, était horriblement chahuté ». Ce Lupin-là rêvait en outre d’écrire ses mémoires, qu’il eût intitulées : « Soixante-dix ans dans un mur ou la vie d’une brique ».
Malgré la notoriété des écrivains suivants, les évocations présentent la même absence de sérieux. Ses conversations avec Sartre ne manquaient manifestement pas de verve : « Je lui parle de l’éléphant Babar faisant la découverte émerveillée de l’ascenseur, je sens que je le passionne ». À Ionesco, il aurait écrit : « Que vous le vouliez ou non, je suis en contact télépathique permanent avec vous », ce à quoi Ionesco lui aurait répondu : « C’est cela, cher Monsieur, gardons un contact télépathique ». Quant à Cioran, dont l’admiration paraît vraiment sincère, ses livres auraient tellement désespéré un contrôleur fiscal penché sur son cas qu’il en aurait immédiatement classé son dossier.
Le pire, c’est qu’au fil des pages, ne sachant jamais si c’est du lard ou du cochon, on en vient à se méfier de tout, à vérifier les dates, les références littéraires, à traquer les impostures. Puis l’on se laisse emporter par ces pages jubilatoires, car qu’importe après tout que tout cela soit vrai ou sorti de l’imagination de l’auteur puisqu’on y rit, et de bon cœur, sans jamais s’ennuyer. Quant à l’humour, s’il tient parfois de l’esprit de potache (« Discipuli riunt, chahutant et faciunt eclatare petardos »), il témoigne le plus souvent d’un esprit pas vraiment bien-pensant : José Lupin expliquait que la vocation de l’Unesco était de « distribuer des bouliers aux enfants du tiers monde pour les aider à calculer ce qu’il leur fallait de calories ». Et en période de rentrée littéraire, à quelques semaines des prix de novembre, oser faire rire un lecteur et secouer le Landerneau, voilà qui reste un acte de courage.
À la rencontre
des disparus
Mathurin
Maugarlonne
Grasset
368 pages, 20,90 €
Domaine français Canularesque
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Didier Garcia
Quelques « miettes de mémoire » pour nourrir huit portraits littérairement incorrects. Maugarlonne en portraitiste décapant.
Un livre
Canularesque
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°57
, octobre 2004.