La rencontre avec Jean-Christophe Valtat débute, curieusement, comme débute 03. Par l’observation à distance. Ici deux tables d’un café parisien, là deux abribus séparés par un bout de nationale, à l’exact centre de la France, « c’est-à-dire nulle part ». Enfin, pas tout à fait nulle part ; dans l’adolescence, dans le 03. Jean-Christophe Valtat a creusé dans cet inséparable couple spatial et temporel le puits sans fond de son dernier roman. Sa propre « adogéographie » en quelque sorte. Il raconte avec précision comment s’enchevêtrent l’endroit et l’époque, et, bien que n’ayant connu ni le même endroit, ni la même époque, on y reconnaît pourtant quelque chose. Comme un morceau de sa propre vie, un certain âge. C’est ce qui fait de Jean-Christophe Valtat un personnage troublant, et de 03, bref monologue intérieur et rétrospectif, un livre étrange, fort, intense, en rupture avec les deux précédents, Exes (Gallimard, 1997) et Album (Léo Scheer, 2002). Chaque matin, en attendant le bus scolaire, le narrateur alors lycéen observe une fillette qu’un autre car emporte dans l’autre sens, vers un établissement qui porte certainement le titre d’institution spécialisée. Sur cette pâle figure au regard fixe, sur cette petite fille anormale à laquelle jamais il n’adressera la parole, l’adolescent projette ses hantises, creuse mentalement un caisson de résonances qui les sépare autant qu’il les identifie l’un à l’autre : « Elle était l’effigie animée de tout ce qu’on n’est jamais, et à tous les sens du terme, elle était le débile que j’étais et que je n’étais pas, mes facultés enfuies, gâchées, et j’étais le prix que payait la société pour que je sois ce qu’elle ne serait jamais. »
Le troisième livre de Jean-Christophe Valtat réfracte les hypothèses et les projections de soi à huis clos, dans le quotidien silencieux de deux enfants, dont l’un profite et souffre à sa manière du handicap mental de l’autre, qui se tait. Rencontre avec un adolescent attardé qui tient un peu des deux.
03, c’est à la fois le numéro du département dans lequel se situe l’action, mais aussi le nombre de personnages qui habitent le roman le narrateur, la petite fille, et leur double commun, l’ombre des deux…
J’ai choisi ce titre parce qu’il s’agit de mon troisième livre. Je n’avais pas pensé à ça.
Il y a dans 03 une exigence de style poussée à l’extrême. Ce n’était pas le cas pour vos deux précédents livres.
Mon premier roman c’était mon premier roman. J’y faisais un peu le malin, il y a de bonnes choses et d’autres que j’aime moins. J’aimerais bien le retravailler, éventuellement. Les nouvelles, même s’il y a une cohérence à l’intérieur du recueil, s’étalent sur dix ans, c’est plutôt expérimental. Pour 03, par contre, je voulais faire quelque chose de très dense, comme un petit hérisson, petit et piquant. Le format est volontairement réduit, pour accentuer la densité de l’écriture.
Comment vous est venue la première idée de 03 ?...
Entretiens L’attardé précoce
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Camille Decisier
En un monologue d’une étonnante densité, « 03 » de Jean-Christophe Valtat projette le mystère de deux solitudes adolescentes que tout sépare et rapproche.
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