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Domaine étranger Mangeurs d’étoiles

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Thierry Cecille

Deux jours avant sa mort accidentelle à 29 ans, en avril 1966, Richard Fariña oublie un testament explosif : l’épopée psychédélique de Gnossos « l’exempté ».

L' Avenir n’est plus ce qu’il était

Peut-être conviendrait-il, avant de se lancer dans l’expérience initiatique ? ironique ? que constituera cette lecture, de ménager quelque mise en scène, d’inventer quelques rites : encore à demi ensommeillé surtout ne vous réveillez pas trop vite ! disposez au soleil une chaise longue ou mieux encore un hamac, choisissez votre plus belle chemise hawaïenne, déposez sur votre platine une galette un peu rayée de Buddy Holly ou de Dylan, n’oubliez pas, pour vous rafraîchir régulièrement, une bouteille de rhum glacé et, si besoin est, quelque végétal illicite. Vous voilà prêt ? Vous pouvez désormais suivre les pérégrinations ou trips de Gnossos Pappadopoulis, étudiant improbable, poète sans œuvre, mystique prosaïque. Ulysse à l’âge de Télémaque de retour, à la première page, à Athené, quelque part dans la froideur des U.S.A de 1958, il lui faudra affronter tourbillons et Cyclopes, sirènes et sorcières, monstres réels ou fantasmatiques. C’est que la révolte gronde, dans ce campus universitaire où un couvre-feu cloître les jeunes filles, déjà trop rares pour la troupe en rut des adolescents trop nombreux. En parallèle parodique ou symbolique à la Révolution que mène Castro contre Battista, ces étudiants parviendront, après une manifestation qui préfigure celles de 68, à chasser la trop vertueuse « vice-présidente chargée de la vie universitaire ». Gnossos a pourtant longtemps tenté de résister au mouvement : pourvu d’une « Exemption » quasi miraculeuse, acquise par sa précoce sagesse d’explorateur des confins indistincts de la conscience, il se faisait fort de préserver son « Immunité » et de ne jamais se laisser aller à ce qui pourrait ressembler un tant soit peu à un choix social. Mais Éros est passé par là, avec Thanatos dans son ombre…
Résumer les nombreuses péripéties serait périlleux (a-t-on bien tout compris ?) et inutile : l’essentiel du roman n’est pas là, mais bien plutôt dans la vision et le rythme, propres à Fariña. Avec un art protéiforme et une énergie constante (la traduction de Matthieussent, électrique, est sans doute un exploit), il sait mêler des monologues intérieurs joyciens (abrupts ou colorés, attentifs aux épiphanies du quotidien) à des dialogues dignes d’Hemingway, des récits de rêves à des descriptions de paysages printaniers ou hantés de présences inquiétantes, des scènes burlesques (l’extrême-onction reçue un matin de gueule de bois, la communion sous les espèces du fromage de chèvre…) à des épisodes épiques ou fantastiques (une fusillade à La Havane, une orgie sado-maso dans des effluves d’une « herbe vraiment puissante »). Les portraits sont rapides et efficaces, la satire discrète mais constante et les références littéraires proposent au lecteur un jeu de piste réjouissant (les Grecs, les classiques américains et même un effrayant « singe-araignée asthmatique » appelé Proust !). Les nombreuses énumérations (dithyrambes en l’honneur des produits de la société de consommation américaine), les épithètes homériques (« Oh splendide Heffalump, vieux déconneur décadent »), les patronymes et surnoms, burlesques ou exotiques, les exclamations, onomatopées, cris et éructations, permettent d’accompagner la construction narrative (proche à certains moments des collages et cut-up que pratiquaient alors Burroughs et Gysin) d’une musique particulière : heurtée, syncopée mais parfois aussi plus harmonieuse, andantes mélancoliques et adagios amoureux.
Comme chez Gombrowicz, il s’agit peut-être ainsi de donner à « l’immaturité », à la jeunesse violente et crue, fantasque et vibrante, toute sa gloire, d’autant plus éclatante qu’elle est fugitive, périssable car, si la mort se fait attendre, la pétrification menace : « On ne sait jamais qui au juste risque de vous transformer en statue de sel ». Fariña l’a échappé belle !

Thierry Cecille

L’Avenir n’est plus ce qu’il était
Richard Fariña
Préface de T. Pynchon
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent
Calmann-Lévy, 401 pages, 22

Mangeurs d’étoiles Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.