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Domaine étranger Secte pilée

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Thierry Guinhut

Entre nazisme, communisme et Russie, un marteau de glace éveille les cœurs. Le turbulent Vladimir Sorokine explore les affres d’une société en mal de rêves.

Plutôt que glacé, ce roman est d’une brûlante intensité. Ne dit-on pas que le métal gelé brûle les doigts ? Le marteau glacé signe l’agonie, ou une nouvelle naissance. C’est ici entrer dans la rhétorique d’une secte terrifiante qui, plutôt de « la philosophie à coup de marteau » pour reprendre une formule de Nietzsche fait de la religion à coup de glace en frappant le sternum des nouveaux adeptes.
La société russe postsoviétique, sous les yeux de Sorokine (né en 1955, lecteur de Rabelais et de Céline), est en pleine déliquescence. Ses citoyens découvrent une consommation aussi branchée que déréglée, sans les repères d’une démocratie qui leur enseignerait les libertés et la justice. Ses jeunes personnages sont sans passé, boules de flipper au milieu des alcools, des drogues, des trafics mafieux, des règlements de compte, des portables et de la prostitution. Les voilà assez déboussolés pour être aiguillés par la soudaine certitude, l’emprise totale d’une secte structurée, déterminée. Tout sacré codifié effacé, ils sont perméables à la conviction d’une communauté qui leur parle la « langue du cœur ». On croise une glace aux pouvoirs étranges achetée à coup de liasses de dollars, une « société par actions Terre-Mère-Humide ». Soudain, les initiés entendent la présence des cœurs…
On sent le verbiage, les formules à trente tonnes, le bon sentiment. Sorokine excelle à nous faire vivre l’angoisse des nouveaux recrutés autant que la paix en béton armé des recruteurs. Son analyse du mécanisme des sectes est imparable. Mais pourquoi nous infliger la répétition de cette barbare cérémonie d’initiation à chaque fois qu’apparaît un nouvel adepte ? Nous avions compris. S’agit-il de la structure répétitive des contes, destinée à envoûter le lecteur, à instiller un suspense, à glisser dans la spirale d’un abîme ou d’une révélation… On s’ennuie. On devine que ces nouveaux sectateurs vont, une fois passé l’étonnement, se laisser fléchir, se rencontrer ; pour quelle aventure, quelle tragédie, quelle apothéose ?
Enfin, dans une deuxième partie, une jeune fille raconte son histoire. Martelée par les Allemands en 1943, elle rejoint une cérémonie d’initiation parmi les Nazis des Alpes autrichiennes. Les élus, tous « blonds aux yeux bleus », sont végétariens au point de ne manger que des fruits crus, car le reste « transgresse le Cosmos ». Ils ont leur cosmogonie, leur météorite de glace tombée en Sibérie et exploitée pour fabriquer les marteaux à éveiller les cœurs. Ils rêvent du moment parfait où « des ondes d’amour sublimes » uniront les vingt-trois milles élus vierges et nus, où « la faute sera alors corrigée : le monde de la Terre disparaîtra, il se dissoudra dans la Lumière. Et nous redeviendrons des rayons de la Lumière Originelle »
Ils s’arrangent tout autant du nazisme que du communisme, utilisant les prisonniers des camps, assassinant à tour de bras. Les autres, « quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la totalité de ceux qu’on martelait » sont des « cadavres vivants » des machines vides, leur amour terrestre est le « mal suprême »… Bien sûr, ils prétendent : « Nous ne sommes pas une secte totalitaire. Nous sommes simplement des gens libres ». Leur certitude, leur fraternel amour ravagent l’humanité : « des millions de cadavres se penchent pieusement au-dessus des feuilles de papier mort ». Car les livres sont également condamnés. Jusqu’à ce que le progrès économique et scientifique permette la diffusion du « Système de remise en forme » avec une « glace de synthèse » qui n’a plus rien de sanglant.
On peut lire ce roman comme un policier, un récit fantastique ou comme une satire des sectes : la parodie de la rhétorique des maîtres en « langage primordial », en « sérénité triomphante » est saine… À moins que ce livre ne soit dangereusement à double tranchant : pourrait-on s’en emparer pour y croire ?

Thierry Guinhut

La Glace
Vladimir Sorokine
Traduit du russe par Bernard Kreise
Éditions de L’Olivier, 320 pages, 22

Secte pilée Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.