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Égarés, oubliés Indochine mon amour

juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65 | par Éric Dussert

Avocat des anarchistes, poète, écrivain, Jean Ajalbert a fait ses armes pendant l’affaire Dreyfus avant de donner à l’Indochine française ses lettres… et de mal finir.

Un demi-siècle avant que Marguerite Duras dégoise, quelques littérateurs tout à fait méprisés l’avaient devancée. D’Afrique ou d’Asie, les colonies d’alors regorgeaient de lettrés avec lesquels nos contemporains d’expat’ qu’ils soient ingénieurs ou diplomates n’essayeront pas, s’ils sont prudents, de rivaliser. Il est vrai que les trajets, qui s’effectuaient au rythme consulaire, offraient alors assez de temps pour parfaire une éducation. Et puis la lecture était encore un article à la mode. Quoiqu’on en dise, le « progrès » n’est pas à sens unique. Jean Ajalbert, fils d’un Auvergnat négociant en vin de la petite ceinture parisienne l’établissement familial, qui fera faillite après la mort du père, était installé à Levallois-Perret, où Ajalbert est né le 10 juin 1863 l’avait probablement déjà compris lorsque, entre 1901 et 1906, il sillonna l’Indochine, le Siam et Java, chargé d’une mission d’information en compagnie du géologue Henri Moinot et de l’ethnologue Spire. Là, comme on pouvait s’y attendre, il se fit remarquer : dans sa préface à la réédition des Mémoires en vrac au temps du symbolisme d’Ajalbert*, Jean-Jacques Lefrère cite, cueillie sur internet, la correspondance d’un aspirant de marine à Saïgon : « Ajalbert, le gros voyageur, est parti dans le Laos avec une cinquantaine de porteurs qui traînaient après lui des caisses de champagne et d’eau minérale, sous prétexte que l’eau qu’il trouvera est malsaine. Il est parti déclarant qu’il battrait tous les voyageurs en fait de lenteur, mais qu’il aurait tout le confort désirable. »
Bien hydraté, Jean Ajalbert sut mettre à profit ses nonchalantes visites pour dresser du Laos des tableaux impeccables. Des mœurs et usages de l’exotique contrée, il rapporta, fort de son métier d’homme de lettres, deux romans : le poétique mais exact Sao-van-Di d’abord (E. Fasquelle, 1905), puis Raffin Su-Su (Publications littéraires et politiques, 1911), où la vie de broussard apparaît plus que détaillée. Repris par Flammarion et Gallimard à la brillante époque d’Ajalbert (juré Goncourt, cqfd), les deux ouvrages ont connu grâce aux éditions franco-indiennes Kailash deux rééditions (1995 et 2003), cette information offerte à tous les incrédules qui y trouveront un indice de leur qualité. Et l’on rappellera à qui veut l’entendre que c’est lui, Ajalbert, qui édita et préfaça les plus que fameuses Fumées d’opium de Jules Boissière (Louis-Michaud, 1909). Mais on ignore moins les mauvais vers symbolistes que la littérature exotique, fût-elle de belle facture. Et comme l’on ignore largement l’étonnant Du fond des Abîmes d’Olivier Diraison-Seylor un roman de 1911, possible source d’inspiration d’un réalisateur désireux de montrer un film apocalyptique et moite au milieu des rizières… mais pondu par un mort de 1914-1918 dont l’activité littéraire fut plutôt solitaire on sait à peu près tout des débuts poétiques d’Ajalbert, parce que liés aux groupes parisiens de l’époque.
Il faut dire qu’Ajalbert fut plongé tout jeune dans un vivier remarquable : repéré par les curés et les instits, il fait ses études au lycée Fontanes (Condorcet) où il rencontre la bande des futurs symbolistes. Mieux, il fréquente le Chat noir de Rodolphe Salis, participe aux soirées des Hydropathes, s’acoquine avec les Zutistes de Charles Cros, etc. Il aurait été étonnant que le jeune homme ne sombre pas dans l’encre… ou dans l’absinthe, qui menaçait elle aussi les poétaillons. Au même moment, en 1884, il devient avocat à la cour d’appel et plaide pour ses « pays », qui ont le tort d’ajouter un peu d’eau à leur lait. Poète impressionniste et romancier presque naturaliste, il fonde en novembre 1885 Le Carcan politique et littéraire avec Paul Adam puis collabore à La Pléiade de Darzens, au Symboliste littéraire et politique, au Décadent, etc. Il les connaît tous : Goncourt dont il est un proche, Tailhade, Barbey, Villiers, Mallarmé, jusqu’aux plus effacés des troisièmes couteaux. D’où l’intérêt de ses Mémoires en vrac, qui, malgré les retouches et les emprunts restent une source unique. Preuve de la vitalité esthétique de cette époque, on y dénombre des duels à n’y pas croire, des haines tenaces et même des exclusions. Ajalbert en fait les frais. Finis les symbolistes, vivent les anars qu’Ajalbert défend après avoir écrit dans les feuilles telles que L’Endehors, Le Pot à colle ou Les Temps nouveaux. Vient le procès Vaillant qu’il quitte en refusant le simulacre de justice. Et puis la robe ne lui va pas. Mais il y a Dreyfus et son affaire. Désormais journaliste, il y plonge jusqu’au cou et jusqu’au verdict de Rennes avec une belle gaieté et un sacré mordant. Aux côtés de Zola, il devient même le symbole de l’intellectuel engagé mais se brûle les ailes. Selon ses propres dires, il est saqué des journaux qui redoutent d’engager le « redoutable polémiste » et ne trouve secours qu’auprès de Briand qui lui confie sa mission en Extrême-Orient. À son retour, il devient conservateur du château de la Malmaison et, en 1917, administrateur de la Manufacture nationale de Beauvais. La même année, il entre à l’académie Goncourt et poursuit son bonhomme de chemin, préparant une série de volumes de mémoires qui feront date. Mais le dreyfusard, chantre de l’art social, commet une faute : durant l’Occupation, il collabore à la presse parisienne, y émet des opinions pétainistes puis doriotistes. À la Libération, il est inscrit sur la liste des auteurs interdits du CNE. Il mourra le 14 janvier 1947 sans être parvenu à redorer son blason.

* Du Lérot (16140 Bassac), 331 pages, 45

Indochine mon amour Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°65 , juillet 2005.