Une femme en fin de vie fait appeler le fils qu’elle a abandonné à la naissance. Une rencontre va avoir lieu. Il y aura enfin des réponses à beaucoup de questions, peut-être même de l’affection. À moins que le fils n’étrangle sa mère sur son lit d’hôpital ? L’envie est tenace, puissante. Ce roman porte une voix qui se dédouble, s’exprimant alternativement à la première et à la deuxième personne. Ses deux voix sont celles du fils. Elles fusionnent parfois, souvent divergent, instaurant une dimension tendue, troublante d’amour et de haine. Il y a la voix de l’enfant délaissé, meurtri, qui ne décolère pas et qui aujourd’hui adulte se raconte dans le huis clos de son automobile. Il traverse la France et file vers l’hôpital. L’autre voix tutoie, apostrophe la mère, rebaptisée Sourde, et en même temps la réengendre. « Les mots me viennent du ventre. Je te porte depuis longtemps. » Elle réinvente l’enfance, l’adolescence, les premiers amants de cette jeune fille solitaire, enceinte à seize ans, vivant au milieu d’une famille inattentive et frustre. Sans pathos, ni psychologisme. Le roman prend des allures de film américain des années cinquante, de polar. Le regard panoramique glisse sur un paysage, où tout semble banalisé, crever d’ennui. L’action se situe à la lisière de la campagne et de la friche industrielle. Des hommes en sueur, des ombres, arrachés à leur labeur apparaissent, découvrent Sourde, seul élément coloré, la pénètrent brutalement, puis repartent aussi silencieusement qu’ils sont venus. Le narrateur les affuble de prénoms américains, Mike, Jim ou Hal. Les contrastes sont saisissants, parfois les lumières deviennent aveuglantes, jusqu’à brûler la pellicule, faisant tituber la narration. Une émotion ? Un sentiment ? Un mensonge plus grand ? L’héroïne a-t-elle vraiment attaché le chien dans la grange, puis y a-t-elle mis le feu ? Est-ce un songe, un mauvais rêve ? Le fils rejoint la mère dans la fiction, dans un rapport narratif un brin incestueux. Lorsque les parents découvriront la grossesse de leur fille, ils l’éloigneront, l’enverront chez un jeune oncle. Il vit bourgeoisement, semble ouvert au monde. Il s’occupera de tout sans poser de questions mais leurs rapports deviendront vite ambigus. La future non-mère explorera sa nouvelle liberté, sa nouvelle ville, suivra des hommes dans les rues, suivie de loin par son oncle. Lorsque le bébé naîtra, elle disparaîtra, lui, élèvera l’enfant.
Le premier roman de Pascal Morin, L’Eau du bain (Le Rouergue, 2004), se voulait détaché, cultivait un certain cynisme. Ici, les sentiments, présents, réémergent, parfois camouflés sous des non-dits, des silences, des leurres, toujours suintant, comme une eau lustrale, le sang sur une statue mariale. Dans L’Eau du bain qui aurait pu s’intituler « Petits meurtres entre frères », trois frères œuvraient à la disparition de tous leurs aïeux mâles, grand-père, père. Les figures féminines singulièrement absentes, renforçaient une homosexualité larvée entre frangins. Dans Les Amants américains, Pascal Morin réussit à parler d’elles (la jeune fille de seize ans et la vieille à l’agonie) sans qu’elles ne soient une seule fois visibles. Ces entités réinventées, la singularité et la diversité des sentiments jamais manichéens qu’elles engendrent, font la force de ce texte au récit haché de courtes phrases, ponctué de points de suspension comme autant de mirages, autant de mensonges. Il révèle en miroir une pertinente réflexion sur la fiction, la création littéraire. Finalement qui invente qui ? Quant à savoir ce que la mère va pouvoir révéler… La fin de ce roman très subtil s’avère d’une belle finesse. « Le pire est devant nous, et nous le savons, nous tous qui roulons. »
Les Amants
américains
Pascal Morin
Éditions du Rouergue
127 pages, 9 €
Domaine français En panne de mère
septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66
| par
Dominique Aussenac
Le deuxième roman de Pascal Morin réinvente la figure maternelle. Au prix d’une habile alternance de brutalité et de finesse.
Un livre
En panne de mère
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°66
, septembre 2005.