Les Autrichiens semblent s’être réservé une spécialité peu enviable : après Bernhard, Jelinek et, moins célèbre mais tout aussi puissant, Josef Winkler, voici Schindel, né en 1944, nouvel adepte de l’auto-accusation et de la haine de soi. Nous retrouvons ici, dans ce roman paru en 1992 et déjà adapté au cinéma, les thèmes et motifs de ses compatriotes : sacrilèges et bouffonnerie, sarcasmes et onirisme. Le récit s’achemine lentement vers le procès du Oberscharführer Herser, « briseur de crânes » à Mauthausen, reconnu par hasard alors qu’il finissait ses jours dans un paisible incognito, mais ce procès sera évacué en quelques lignes : l’essentiel n’est pas là. Il s’agit bien plutôt d’évoquer, par l’observation parfois un peu pesante ou exagérément ironique d’un microcosme d’intellectuels ou de notables viennois ou allemands, les tourments du passé qui ne passe pas, les labyrinthes périlleux ou douloureux d’une mémoire d’autant plus virulente qu’elle est refoulée. Ainsi Konrad Sachs hérite-t-il injustement des remords posthumes de son père, gouverneur général de Pologne, condamné à Nuremberg et exécuté, ainsi Gebirtig, rescapé des camps devenu à New York célèbre dramaturge, devra-t-il revenir dans ce pays dont il refusait jusqu’au souvenir. Autour du narrateur, qui se perd (et nous perd parfois) dans les méandres de sa propre création et de la schizophrénie qu’elle occasionne, s’agitent d’autres Viennois, juifs ou demi-juifs, qui tentent d’oublier, dans des ébats sexuels parfois ridicules, dans les beisel enfumés où la bière et le vin du Rhin les plongent en de cyniques affrontements, une judéité dont plus personne ne sait vraiment que faire, empoisonnée qu’elle est par la blessure inguérissable de la Shoah.
Le Mur de verre de Robert Schindel
Traduit de l’allemand par Anne-Marie Geyer
Stock, 300 pages, 20,99 €
Domaine étranger Témoins à charge
septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66
| par
Thierry Cecille
Un livre
Témoins à charge
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°66
, septembre 2005.