Il est recommandé d’avoir le cœur bien accroché pour affronter ne serait-ce que le premier chapitre de ce livre. Vous y tomberez nez à nez avec le cadavre d’une jeune femme, pendue par un pied à la poutre d’un grenier désaffecté. « De fins et longs tortillons de peau encore accrochés à son torse retombent comme du papier tue-mouches. » Si le cœur vous en dit toujours, acceptez donc de suivre le narrateur (qui n’en sait pas plus que vous) pour découvrir ce qui s’est tramé là. Caméra à l’épaule, « tel un mauvais agent secret dans une comédie ratée », vous voilà dénouant le fil d’un scénario qui, d’horreurs en horreurs, conduit droit à un réseau de malfrats (dirigé par un pornographe et un gourou africain) organisant des séances de tortures filmées afin d’en tirer un profit commercial. La clientèle est rare, mais elle paie bien. Car, « si s’affranchir de cet interdit majeur qu’est le spectacle de la mort est pour beaucoup une abjection définitive, d’autres trouvent là une source d’infinie jouissance ».
À 49 ans, Roger Puyravau signe un premier roman dérangeant, servi par un ton clinique, net et tranchant comme la lame affûtée de l’herminette dont se sert le bourreau pour dépecer, en direct sous nos yeux, ses victimes. Au passage, il lâche quelques propos cyniques et bien sentis sur notre société avide, qui ne sait plus quoi inventer pour se sentir vivante, et pose avec habileté la question de la distance entre le sujet et son image. « Quant à nous, il nous faudra aller jusqu’au bout, écœurement ou pas, boire jusqu’à la lie le calice de notre curiosité et payer pour tout ce que nous avons voulu voir. »
Morceaux de Roger Puyravau
Maren Sell Editeurs, 272 pages, 18 €
Domaine français Rayon chair humaine
octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67
| par
Lise Beninca
Un livre
Rayon chair humaine
Par
Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°67
, octobre 2005.