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Égarés, oubliés Le chemineau Merino

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Éric Dussert

Trimardeur autodidacte et boxeur, Bienvenu Merino a pondu en 1976 un court texte qui choqua et ne serait sans doute pas plus admissible aujourd’hui. Démonstration.

On lui a dit et répété qu’il ressemblait à Régis Debray mais sa moustache lui donne encore des airs de Paulo Conte. Et il en a la douceur, apparemment. Pourtant, Bienvenu Merino est entré en littérature il y a maintenant trente ans dans un registre plutôt pétulant, pour ne pas dire pétaradant.
Fils de républicains espagnols son père, analphabète, est membre du POUM, ces anarchistes brûleurs d’églises, qui ont perdu cinq de leurs garçons lors du bombardement d’une colonne de réfugiés à Malaga. Bienvenido, ou Bienvenu, naît en Dordogne en janvier 1943 et grandit dans le Lot puis à Chaumont. Il confesse assez vite une vie nonchalante qui a débuté par l’ennui des salles de classe communales et le goût des espaces buissonniers. « J’apprenais la Marseillaise à mon idée, avec un sens burlesque et foudroyant aux oreilles de mes instituteurs. » Les ennuis commencent souvent avec les coups de règle. À treize ans et demi, le certif’ en poche, il fait son apprentissage de serrurier-ajusteur, apprend la forge et la soudure, après avoir fait le bûcheron pour sa famille. Il grimpe à Paris où il travaille en usine pendant douze ans. En 1966, ses fourmis dans les jambes le jettent au Sahara, qu’il traverse, et, un peu plus tard, dans les amphis de la Sorbonne au moment où les étudiants s’y mêlent de revêtement des voies de circulation et de reconstruction sociale. C’est 1968, l’autodidacte n’en perd pas une miette, fréquente les intellos et quitte l’usine. Il reprend son sac et se lance aux Amériques. « Ma grande école », dit-il. D’Alaska en Terre de Feu, il trace la route, vit de petits boulots aux USA, il obtient par miracle une carte de travail qui lui permet de laver des voitures ou de faire la plonge et se trouve au bon moment à Central Park ou à Frisco. C’est là qu’il croise les beatniks et leurs auteurs, une terrible incitation à la lecture.
Dans les temps qui suivent, soit entre 1968 et 1971, il parcourt le bassin amazonien, Pérou, Brésil, Colombie, Bolivie… Là-bas, on le surnomme El Andarin, celui qui marche. À Camiri (Bolivie), il tente de rendre visite à Régis Debray emprisonné et dévore le journal de voyage du Che, qui le passionne et dont il refait le trajet. Inspiré, il prend le stylo à son tour et entame son journal de marche en y ajustant les mots comme des coups de poing. Sans se préoccuper beaucoup des us et coutumes de la langue châtiée, il écrit. Assidûment. Seul un fragment de ce journal monumental inachevé, il compte près de huit cents pages aura paru en juin 1976 aux éditions du Peuple, imprimé par le complice Daniel Delort à Villelongue d’Aude : Diarrhée au Mexique.
« Le direct du gauche, c’est le coup initial de la boxe qui, à mon sens, est l’A de l’alphabet du pugiliste. » Tout neuf dans le costume d’Arthur Cravan, il frappe et fait mouche. Témoin cette inadmissible Diarrhée, son grand texte, bien court au demeurant, qui subit les commentaires outrés de ses proches et la censure de libraires effarouchés (malgré quelques accueils sympathiques) : la Hune refuse de vendre le livre. Par hasard, une chronique médicale du Monde (7 juillet 1976) consacrée aux « Colibacilles et diarrhées mexicaines », par le docteur Escoffier-Lambiotte, lui permet d’obtenir quelques lignes dans Le Monde des livres. Quoi qu’il en soit, Bienvenu Merino a d’ores et déjà inscrit son nom au rôle de la scatologie, un domaine particulier et fort couru de la bibliographie auquel Joyce et Rabelais, Jarry, Aragon, Sade ou Dali ont fourni des lettres de noblesse. D’autres encore, dès l’antiquité, comme l’a rappelé la Bibliotheca scatologica de Jannet, Payen et Veinant (1848 ; rééd. Contre-Moule, 1992).
Plus près de nous, entre la machine à mère de Claude Louis-Combet (Augias et autres infamies, Corti, 1993) et l’Histoire de la merde de Dominique Laporte (Christian Bourgois, rééd. 2003), Bienvenu Merino a ouvert sa carrière littéraire avec cinquante-quatre pages brutales de vie vraie, honnête et sans chichi. Évidemment, le boxeur a sévèrement sonné ses lecteurs et s’en est trouvé tout étonné. Dépourvu d’afféterie ou de malice, inconscient en somme d’avoir violé un sacré tabou, il donne encore quelques textes à des revues et feuilles variées, Le Gué (ancêtre de Brèves), Lolita, Les Testicules du hasard ou Zédebis, en se méfiant toutefois des ruades de sa plume. Alors qu’il a opté pour la décoration de théâtre et les prosaïques ateliers de peinture (laque) afin de gagner sa vie, il sollicite sans trop d’opiniâtreté l’édition parisienne et, pour de ne pas subir les désolantes lettres de refus, choisit de poursuivre en se publiant tout seul, ou avec l’aide d’amis. Et puis il est artiste-peintre et conçoit des sculptures. La plus fameuse, un cercueil-fauteuil destiné au macchabable Pinochet stagnant à Londres, n’est pas exposée (trop scandaleuse ?), aussi en fait-il un livre, Descendre au cercueil (1999), après avoir quatre ans plus tôt donné de farouches Fleurs et chant d’espoir du peuple d’Espagne composés en 1975 lors de l’agonie de Franco. Restent encore Scènes (1995), un texte érotique, proche de sa première veine, et O, voyelle (2002), d’après une sienne peinture originale sur acier, et puis la Réponse à une jeune fille du XVIe pour sa demande en mariage, inédite, qui excite la curiosité. Malheureusement, lire Bienvenu Merino ne se décide pas. Il faut trouver ses livres et, pour ce faire, il est inutile de chercher en dehors de la rue de Montreuil (Paris XI). On peut, en revanche, espérer qu’un éditeur ose reprendre la Diarrhée au Mexique. S’il se fait on peut rêver ce serait la preuve que notre époque n’est pas si désespérante.

Le chemineau Merino Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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