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Arts et lettres La galaxie Dada

novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68 | par Éric Dussert

La rétrospective Dada du Centre Pompidou, jusqu’au 9 janvier, déchaîne, sinon les passions, du moins les publications. Une ferme incitation à retourner aux écrits d’un mouvement qui privilégia l’action, la spontanéité et le scandale, ou l’innocence du geste mâtiné de provocations. Panoramique.

Comme toute rétrospective du Centre Pompidou qui se respecte, l’exposition Dada provoque un raz de marée de papier. La presse magazine elle-même fourbit des numéros spéciaux, jusqu’à l’inepte supplément de l’Express (« Soyez fous, soyez dadas ») confusionniste à souhait. Il est vrai que Dada, fier mouvement d’individus apparemment déraisonnables, pousse aux excès en tout genre et à ce n’importequisme qui convient tant à notre époque.
Mais les muses veillent. Assistées de vaillants spécialistes et d’éditeurs raffinés, elles ont permis, malgré la houellebecqite ambiante, la remise au jour de quelques textes essentiels (sources et gloses confondues) de très bon aloi. Il y aurait lieu de s’intéresser ici aux œuvres littéraires mais nous sommes contraints de remarquer que ce sont curieusement les monographies et les livres d’art pour ne pas dire d’images qui ont, comme souvent le dessus du panier Noël approche. Mais laissons l’art aux esthètes.
Ceux qui s’intéressent aux écrits dadaïstes ne seront pas frustrés. Si les textes théoriques, ou programmatiques, ont toujours eu la part belle, les efforts conjugués de plusieurs éditeurs ont permis d’offrir aux lecteurs français depuis quelques années assez de matière pour qu’ils en réclament encore. Certes, hormis la réédition de Tenderenda, le roman échevelé qui pose Hugo Ball en initiateur de la lignée Grabinoulor (Pierre Albert-Birot) et Le Vent du monde (Jacques Spitz), ou les farouches Écrits critiques de Francis Picabia, on reste encore un peu sur notre faim. Il reste néanmoins des niches dadaïstes très fraîches : les histoires de Walter Serner paraissent peu à peu chez Allia (trois volumes pour l’heure), le Journal 1913-1921 d’Hugo Ball lui-même a paru au Rocher (1993), ainsi que son essai sur Hermann Hesse aux Presses du Réel en 2000, Le Dada pour cochons de Paul van Ostaijen a été reprinté par Textuel récemment (nos félicitations), de même que les grands textes de Clément Pansaers (Plein Chant et Didier Devillez), les œuvres complètes de Tristan Tzara avaient paru chez Flammarion (1975-1982, 5 vol.) et Francis Picabia, après la publication de ses Poèmes (Mémoire du livre, 2002), aura donc lui aussi des œuvres réunies en volume avec la publication de ses Écrits critiques aussi vifs que rudes, éclairants autant que contradictoires.
On est pourtant loin du compte. Il suffit d’observer les bibliographies allemandes pour constater que nous ne connaissons peu ou prou que le sommet de l’iceberg. En cela, la réédition de l’Almanach dada de Richard Huelsenbeck, autre membre fondateur de Dada à Zurich avec Arp, Ball et Tzara, paraissait indispensable. Cette anthologie majeure de 1920 permet en effet de saisir la substantifique moelle du mouvement à travers les écrits d’époque d’une quinzaine de dadaïstes majeurs. Sa première édition française datait de 1980 (Champ libre) et le livre avait fini par manquer. Ouvrage capital et savoureux, il se distingue d’emblée parce qu’on y remarque l’absence d’André Breton, mais aussi parce que sont soulignées les présences de Philippe Soupault dont on sait depuis la divulgation du manuscrit original qu’il est l’auteur principal des Champs magnétiques et celle de Georges Ribemont-Dessaignes (1884-1974), qui reste sans contredit le dadaïste français mais aussi, tragiquement, le plus ignoré. Il est, du reste, le grand absent de la fiesta en cours : pas de réédition, pas de biographie, rien. Pour autant, on ne trouve pas ses livres chez les libraires (L’Autruche aux yeux clos et Adolescence ont été rendus par Allia en 1993 et 1989, autrement dit en des périodes antéhistoriques pour la librairie contemporaine, idem pour le reprint de sa revue Bifur par Jean-Michel Place en 1976… 1976, est-ce bien raisonnable ?), et il faut beaucoup de patience pour mettre la main sur Frontières humaines (Plasma, 1979). Injustice injustifiable que le traitement qu’on fait subir à cet écrivain. Il est vrai que la disparition de ses archives lamentablement jetées à la benne par l’acquéreur de l’hôtel où il s’était retiré, du côté de Villars d’Arène dans les Hautes Alpes est pour beaucoup dans l’ignorance où on le tient. Personnage pivot, cet homme incarna Dada à Paris, plus, beaucoup plus, que Breton. Pourtant, lorsqu’on lit certaine affirmation de ce dernier en exergue d’un chapitre du Dada ou les arts rebelles, le dictionnaire des arts décapants du XXe siècle établi par Gérard Durozoi, on croit rêver : « Il est permis de dire que le mot DADA se prête facilement aux calembours. C’est même un peu pourquoi nous l’avons adopté. » Ce « nous » de majesté, doublé de cette réécriture de l’histoire (Breton n’était tout simplement pas à Zurich en 1916) est d’un ridicule achevé, et l’on peut considérer sans passer pour un dingue que le Pape du surréalisme n’aura été Dada que le temps d’en absorber les idées, l’esthétique et les artistes (Arp, Ernst, etc.) et de les travestir pour les recracher sous la marque surréalisme.
Bien entendu, la lecture d’En avant dada, l’histoire du dadaïsme de Richard Huelsenbeck (Presses du réel, 2000) instruit largement à ce sujet. On trouve là l’essentiel de ce qu’il faut savoir de Dada, mouvement qui se manifeste par effet de l’horror vacui, l’horreur du vide, mouvement dont les principes actifs sont l’action, justement, la candeur, la sincérité et la provocation, ainsi que le refus de l’art c’est la pomme de discorde entre Huelsenbeck et Tzara, le premier reprochant au second d’avoir promu l’art pour l’art aux côtés des Parisiens. Pas de Grand Homme pour Dada, pas de marbre, pas de lauriers mais du simultané, du jaillissement, de l’entropie, du spontané volatil et gratuit. Et sur ces derniers aspects, le surréalisme ne peut s’opposer. D’ailleurs la subversion de Dada, selon Huelsenbeck, va plus loin : « l’art (…) est une vaste tricherie. (…) dès l’enfance, on vous farcit la tête des toutes sortes de divinités à idolâtrer, pour qu’adulte et contribuable, l’homme, complètement abruti, tombe à genou dès qu’on lui donne l’ordre, suivant les intérêts de l’Etat ou ceux d’une petite clique de brigands, de se mettre en adoration devant un « grand esprit ». Je le répète encore : toute cette entreprise avec l’esprit n’est que pur mensonge utilitariste. » No comment.
« Je le répète encore : toute cette entreprise avec l’esprit n’est que pur mensonge utilitariste ». Richard Huelsenbeck, à propos de l’art.
On retrouve l’essentiel de la « philosophie » de Dada dans l’édition par Marc Dachy de ses Archives dada, qui constituent un excellent complément à l’Almanach dada de Huelsenbeck. Hazan a mis pour l’occasion les petits plats dans les grands en offrant un livre qui pourrait bien damer le pion au catalogue de Beaubourg. Sur le même principe de réunion des manifestes, témoignages rares, textes épars, chroniques oubliées et entretiens enfouis, Marc Dachy, qui œuvre depuis longtemps sur les terres à Dada, a recueilli là des trésors et, avec eux, l’occasion de rétablir cette nébuleuse protéiforme dans ses vraies dimensions. De Zurich aux Pays-Bas, en passant par Berlin, Hanovre, Cologne puis Paris, on lit Marcel Janco, George Grosz, Raoul Hausmann, Kurt Schwitters, Victor Brauner et Ilarie Voronca, jusqu’à Max Jacob et Erik Satie. Deux noms qui pourraient surprendre ici mais qui occupent une juste place, car Dada n’est pas tout à fait une génération spontanée.
La lecture de l’incontournable Dada à Paris de Michel Sanouillet (quatrième édition de cette thèse soutenue en 1965, imprimée d’abord à cent cinquante exemplaires) renforce la compréhension de l’époque. D’ailleurs, lire Dada à Paris dans la foulée de La Crise des valeurs symbolistes de Michel Décaudin et des Devanciers du surréalisme de Léon Somville, donne l’occasion d’apercevoir les points de contact, les parallélismes, les topoï et les « idées dans l’air » de ce temps. Ainsi de l’unanimisme de Jules Romains, point si loin du simultanéisme de Henri-Martin Barzun, du cubisme d’Apollinaire patron des Soirées de Paris, la première revue parisienne où publia Tzara et du futurisme de Marinetti. Car les futuristes italiens furent à partir de 1909 les « premiers incendiaires ». Armés du scandale, dont ils avaient compris la belle efficacité, ils ne se perdaient ni dans les arcanes de la raison, ni dans les méandres de la réflexion pour analyser leur révolte. Bille en tête ! La récente parution de Tuons le clair de lune ! de Marinetti et du rare Manifeste de la femme futuriste de Valentine de Saint-Point (cf. MdA 52, Mille et une nuits) vient éclairer leur position et souligne à quel point leur modèle, diffusé par la revue Lacerba à partir de 1913, ne fut pas négligé par le « brillant impresario » Tzara qui se souviendra de l’attitude de Marinetti.
Mais l’histoire ne s’écrit pas toujours avec les « petits faits vrais », lesquels sont souvent masqués par les notions floues et les notoriétés dominantes. Le pistolet de Breton a fait oublier, par exemple, que c’est Tzara qui persuada les futurs surréalistes, dès son apparition dans leur groupe lors du premier vendredi de Littérature, rue des Ours, que le scandale était nécessaire. Bref, l’exposition Dada arrive à point nommé pour se remettre à niveau et nettoyer les idées ingurgitées ou mal assimilées dont on dispose sur ce moment de l’histoire de l’art et de la littérature qui fut, sans aucun doute, le plus déterminant du siècle passé. Car, à bien regarder, l’ombre portée de Dada, de son esthétique et de son choix de la rupture sont les traits caractéristiques d’une équipée dont l’influence se fait encore sentir.
Exclu du groupe surréaliste depuis lurette, Philippe Soupault aura tenté la synthèse : « dans le domaine plastique Duchamp et Picabia furent des caricaturistes, Arp et Tzara des typographes, Man Ray un photographe exceptionnel. Le plus convaincant : Max Ernst. » On pourrait s’en tenir là si l’un des hauts faits de Dada à Paris n’était le Festival Dada organisé le mercredi 26 mai 1926 à la salle Gaveau. Qu’offrait-il au programme ? Tzara et Picabia naturellement, Eluard, Soupault, Breton et Aragon évidemment, et puis, quelle surprise, Céline Arnauld, Paul Dermée et Georges Ribemont-Dessaignes. Preuve s’il en faut que les petits dadaïstes ont existé et que les milliers de pages offertes à nos appétits portent la promesse de multiples découvertes contondantes. Avait-on lu Jean Crotti ?



Sélection



* Archives Dada, chronique de Marc Dachy
Hazan, 576 pages, 75
* Dada à Paris de Michel Sanouillet, préface de Michèle Hubert, CNRS Editions, 652 p., 35
* Dada, la révolte de l’art de Marc Dachy,
Centre Pompidou/Gallimard, « Découvertes »,
128 pages, 13
* Dada, histoire d’une subversion de Henri Béhar et Michel Carassou, Fayard, 264 pages, 20
* Dada et les arts rebelles de Gérard Durozoi
Hazan, 382 pages, 27
* Almanach dada de Richard Huelsenbeck
Traduit de l’allemand par Sabine Wolf,
Les Presses du Réel, 416 pages, 17
* Tenderenda le fantasque de Hugo Ball
Traduit de l’allemand par Pierre Gallissaires,
Vagabonde, 144 p., 16
* Francis Picabia, écrits critiques, préface de Bernard Noël, édition établie par Carole Boulbès, Mémoire du livre, 685 pages, 39
* Action poétique (N° 181), 144 pages, 12

La galaxie Dada Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°68 , novembre 2005.
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