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Zoom A poor lonesome cowboy

novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68 | par Lise Beninca

Tirant sur les ficelles du genre, Charlie Galibert compose avec « Sistac » un western divertissant et tragique où les chasseurs de primes, s’ils ne savent dans quelle direction aller, y vont au galop.

Le soleil jette ses dernières flammes. Au creux d’un canyon perdu dans l’immensité de l’Ouest américain, Sistac prend soin de brouiller ses traces. Il allume un maigre feu, fait bouillir la décoction d’herbes qui soignera sa fièvre et s’installe pour la nuit. Il ne dormira que d’un œil, guettant la présence de l’homme qui le pourchasse depuis des mois. Sistac sait qu’une affiche offre 5000 $ pour sa capture, « vivant uniquement ». Puisqu’ « on ne réfléchit jamais aussi bien qu’en fuyant au galop », il a semé ses poursuivants, excepté Goodfellow, chasseur de primes de la plus fine espèce.
Ce n’est pas pour rien que le mot « western » figure sur la couverture du livre de Charlie Galibert, comme on aurait indiqué « roman » ou « récit ». L’auteur affectionne le genre parodique. Son premier roman, Carnaval cathare (paru en 2003 aux Éditions Empreinte), était un polar moyenâgeux décrivant un casse en 1240 à Toulouse, en pleine Inquisition. Dans ce deuxième livre, il rend un hommage décalé « au western classique, académique, historique, avec ses allégories et son message sur le thème de l’immigrant, les grands espaces, la frontière, l’utopie, l’espoir et l’illusion ; au western italien et sa part de réalisme quasi ethnographique ; aux grands modèles naturalistes et sociaux comme Little Big Man  ; aux derniers westerns comme Dead Man ». Sistac est une ballade nonchalante à la Lucky Luke, avec ses soleils qui n’en finissent pas de se coucher. C’est aussi une implacable chasse à l’homme à l’ère du triste mythe californien, qui s’est construit dans l’or et le sang.
Charlie Galibert (50 ans) est chercheur et enseignant en anthropologie et ethnologie à l’université de Nice. Abordant la fiction, il retrace la quête d’un monde rêvé, pour lequel des hommes se sont affrontés sans merci. Les parents Sistac ont quitté leur petite échoppe d’armurerie toulousaine pour tenter fortune en Californie, « où il suffisait de se baisser pour ramasser de l’or ». Comme tant d’autres, ils n’ont jamais atteint l’Eldorado, vaincus bien avant par la neige et les loups. Unique survivant, le jeune Sistac apprit bien vite à avancer seul et méfiant, sans hésiter à tuer avant de l’être soi-même. « Depuis son départ de Toulouse, c’était comme s’il avait rêvé d’un trésor éloigné, tellement éloigné, mais qui n’était devenu véritablement lointain qu’ici. » Confronté à la dure réalité, ce revers du rêve, il substitue aux plaines désolées qui l’entourent un décor perdu. En traversant le fleuve La Gila pour tromper son ennemi, c’est à la Garonne qu’il pense.
Puisqu’il n’y a pas de cowboys sans Indiens, quelques-uns traversent aussi cette histoire : c’est le vieux Flèche-dans-la-nuit, qui transmet à Sistac certains secrets ou, au détour d’un sentier, le corps d’un Indien mort, recroquevillé dans un taillis. Il est question de survie dans Sistac, mais aussi de l’agonie d’un peuple. Guidé par ses nombreuses lectures ethnographiques sur la civilisation indienne, Charlie Galibert a voulu « montrer la mort d’une vision du monde, d’un contact privilégié avec l’Être, recueillir le moment de cette disparition, son dernier souffle ». Un dernier souffle qu’il synthétise magistralement : « Bientôt, le dernier Indien chargerait les troupes U.S. sans rien d’autre que son cri de guerre et un revolver aussi vide que son ventre. »
Le texte est découpé en courtes séquences (des scènes, des plans) à la chronologie éclatée. Chacune est conçue comme un monde exclusif, autonome et pourtant « rhyzomiquement » relié aux autres. Outre conter l’histoire de Sistac, l’écrivain a choisi de « créer un espace-temps avec sa nature, ses paysages, sa topographie minutieuse et précise peuplé de personnages dont on traverse la vie dans le sens de la largeur alors qu’elle continue pour eux dans celui de la longueur ». Il nous rapporte aussi bien l’histoire de Digger Niger, cet esclave affranchi parti prêcher sur les routes, que des discussions de saloon parlant de colts, de femmes ou de potences. « L’éclatement du récit correspond à l’idée du jeu de cartes mélangé entre les doigts du donneur, de façon à décentrer le temps pour lui donner la forme hésitante, papillotante, multiple et polymorphe des souvenirs, de flashs mémoriels, d’hésitations sur les possibilités d’évolution parallèles (à la Calvino ou à la Cortázar). »
Le parcours de Sistac est un mélange d’extrême solitude, de sagesse, de burlesque et de tragique. Ménager son cheval, compter l’eau et les vivres, se raser le revolver à la main, laver son caleçon dans un torrent, fuir. Pour Sistac, le jour qui s’achève et celui à venir s’organisent autour de cet alter ego qui le poursuit, qu’il interpelle dans ses cauchemars et rebaptise selon l’humeur « Fuckfellow » ou « Goodbrother ». Existe-t-il vraiment ? Peu importe, puisque rien n’a de sens que cette avancée parallèle du traqueur et de sa proie, l’un justifiant l’existence de l’autre. Assis devant son feu, Sistac éprouve la douce satisfaction d’avoir échappé une fois de plus à son frère ennemi. Et la furtive envie de partager avec lui le lapin qui rôtit sur les braises, pour fêter ça. Le temps d’une trêve, le temps d’être moins seul. Sistac est l’histoire d’une quête absurde et pourtant inévitable dans un monde sans sens. « Les pistes ne sont-elles pas faites pour être brouillées, effacées, perdues… fausses ? » avance Charlie Galibert, aussi énigmatique que la fin de son livre.

Sistac
Charlie Galibert
Anacharsis, 192 pages, 14

A poor lonesome cowboy Par Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°68 , novembre 2005.
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