C’est toujours avec un mélange de curiosité, de gourmandise et de confiance qu’on aborde la lecture d’un livre qui paraît à l’enseigne prestigieuse de José Corti. En entrant dans la lecture du roman de Jacques Gélat, on accueille la promesse d’une vivifiante aventure de l’esprit : le narrateur, un traducteur reconnu pour la qualité de son travail tourne un jour le dos à son éthique professionnelle. Il introduit, d’abord avec parcimonie (une virgule en lieu et place d’un point-virgule), puis avec de plus en plus de liberté et de désinvolture des éléments personnels dans les textes qu’il traduit. Encouragé par l’écho constamment positif que reçoivent ces transgressions successives elles semblent apporter une plus-value aux livres traduits, il franchit le pas : le traducteur devient lui-même écrivain. Jacques Gélat construit un récit sur les affres de la création littéraire, processus mortifère dont le narrateur ne sortira pas indemne. Disons-le tout nettement, le livre n’est pas à la hauteur de notre attente. Les différentes étapes de ce cheminement s’enchaînent de façon trop mécanique : le caractère fatal du dérèglement d’une vie ne trouve pas sa place dans un récit qui oscille, sans choisir où il va, entre l’option de la sombre parabole et celle de la peinture satirique. Plus problématiques encore sont les faiblesses manifestes de la langue qu’on ne s’attendait pas à rencontrer. On croit d’abord avoir affaire à de simples coquilles syntaxiques et grammaticales, puis leur nombre s’élevant, on songe, amusé, à un texte qui serait affecté, comme en une mise en abyme, par des scories vouées à en gripper la machinerie : « Je me souviens de mon émoi le jour où j’ouvrai (sic) de nouveau ce livre », dit le narrateur que presse de plus en plus le désir d’en finir : « Le livre était là, bien serré entre mes mains, prêt à agonir (sic). »
Le Traducteur de Jacques Gélat
José Corti, 127 pages, 14,50 €
Domaine français Les maux des livres
mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71
| par
Jean Laurenti
Un livre
Les maux des livres
Par
Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°71
, mars 2006.