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Domaine français Beauté maudite

mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71 | par Richard Blin

Chaque jour est un arbre qui tombe

Drôle de dame que Gabrielle Wittkop, née à Nantes, en 1920, morte à Francfort, où elle s’était installée après avoir épousé un déserteur de l’armée allemande. Une femme dont le besoin d’indépendance était vital. Revendiquant la liberté, l’amoralité et l’inutilité, elle avait fait de l’égotisme, sa loi, niant toute religion comme tout attachement politique ou familial. (Le soir du jour où son mari se suicida, ce qui la préoccupait, était de savoir comment, désormais, elle allait ouvrir les bouteilles de champagne). Lisant le grec et le latin, celle qui se disait enfant des Lumières, fut longtemps journaliste pour les pages culturelles de la Frankfurter Algemeine Zeitung. Elle parlait très souvent de la mort et aimait raconter comment, par trois fois, elle avait dû faire face au tigre. Auteur, depuis Le Nécrophile, (1972, réédité chez Verticales, 2001) d’une douzaine de livres souverainement impudents et troublants, elle nous donne avec Chaque jour est un arbre qui tombe, un livre qui tient de l’autoportrait rêvé et anamorphosé.
C’est le journal d’une femme, Hippolyte, qui présente bien des traits communs avec l’auteur. Née comme elle, un 27 mai, méprisant les conventions, aimant le silence et l’inaccessible, et revendiquant une sensualité plus élective qu’impulsive, elle prétend que l’œil, l’oreille et l’imagination lui offrent « les plus vastes champs du plaisir ». Mais par-delà ces similitudes, c’est l’art qu’a Gabrielle Wittkop de magnifier une subjectivité, qui s’impose. Celle d’un être accueilli à sa naissance par un « Je ne veux pas la voir », et qui, depuis, cherche son « équinoxe », c’est-à-dire l’ « équilibre parfait entre la création et la contemplation ». Quête d’un Graal esthético- métaphysique qui passe par un exercice vigilant du regard, et par des dispositions sensitives et intellectuelles peu communes, ici illustrées par une suite de scènes, de souvenirs et de choses vues, s’enchaînant à la façon d’un rébus et trouvant leur unité dans le jeu d’échos, de résonances, d’analogies et de symétries. « Miracle et pureté, la nature est aussi le rébus qui nous enseigne combien rarement l’essence est identique à l’apparence (…). L’araignée n’est pas insecte, la musaraigne n’est pas rongeur, l’antilope pas cervidé, le bœuf musqué pas bovidé et le tigre pas félin. Cette nature qui méprise l’existence d’un système général en connaît cent mille, indépendants, contradictoires quelquefois, mais reliés par les plus mystérieux points de contact. D’innombrables correspondances, des échanges sans fin, s’effectuent d’un cycle à l’autre, d’un monde à l’autre ».
Tout n’est qu’interpénétration de savoirs, affinités secrètes, mues d’un temps zigzaguant entre signes et silences, résurgences et oublis, proche et lointain. On passe de l’Inde à Venise, de Paris à Rome, de l’île de Krakatoa à l’Allemagne et à ses hivers. « Hiver septentrional. Même en été, cette odeur de neige, senteur morte de plume tombée, de laine perdue, de feuille empoussiérée, d’éternel hiver. (…) Il y a une platitude pure et froide, une qualité d’atmosphère évoquant l’ardoise et l’eau, la glace et la cendre, mais une véracité peut-être ».
Des surprises, des intensités, une volonté de tout dire qui passe par les souterrains de l’être et n’élude pas certains face à face. « Hippolyte se sait virtuellement criminelle et si Lady Macbeth en elle demeure immobile, elle possède pourtant le poids d’une conscience cariée dont le monstrueux volume obstrue toute issue qui n’est pas celle de l’arrogance ». D’où une inlassable interrogation sur la nature du moi, de « ce moi qui fluctue et reflue et change dans le développement, dans l’accomplissement et jusque dans la déchéance, insaisissable, envoûtant toujours ». Alors, aux forces dissolvantes de la mort, Gabrielle Wittkop oppose son écriture, une écriture visuelle dont l’ordonnancement classique n’empêche ni les louvoiements lyriques ni le pouvoir d’ébranlement. Nourrie de subtilités et de délicatesses, elle est célébration de la belle langue et de la volupté d’écrire. Une forme d’art qui fait songer à des eaux-fortes, c’est-à-dire à l’œuvre d’un véritable maître, comme dans cette description des obsèques, qu’enfant, elle organisa pour porter en terre les restes d’un hibou. « Ensevelie de blanc, portée à découvert comme celle d’un roi défunt, entourée de ramures, la dépouille était flanquée de pommes d’hiver piquées de girofles dont les clous s’enfonçaient dans la bourbe brune des pulpes blettes. A l’entour du crâne, on avait construit toute une gloire d’ossements étrangers, becs et bréchets trouvés entre les rocs des grèves, cailloux rincés par les pluies, feuilles de houx, coquillages et toute une pléiade d’astéries, funèbre reposoir rappelant le calice d’une passiflore, un autel aztèque ou le catafalque baroque de quelque chapelle d’Espagne ».

Chaque jour est un arbre qui tombe de Gabrielle Wittkop, Verticales, 180 pages, 15

Beauté maudite Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°71 , mars 2006.
LMDA PDF n°71
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