Grobianus : Petit cours de muflerie appliquée pour goujats débutants ou confirmés
In media quando iam coperis ire platea/ Et fuerit sumpti nausea facta cibi/ Deice per vomitum », voilà qui ne nous parle pas forcément. Mais si l’on s’éloigne un peu du latin, l’horizon s’éclaire : « Dès que tu auras commencé à marcher dans la rue et que ton repas t’aura donné la nausée, évacue-le en vomissant ». Merci donc à Tristan Vigliano pour avoir traduit et commenté Grobianus, manuel de Friedrich Dedekind paru en 1549 et qui n’avait pas connu jusqu’à ce jour de translation en français. Il connut en son temps un beau succès : c’était alors la vogue des traités de civilité, dont Erasme avait donné le modèle avec sa Civilité puérile. L’originalité de Dedekind, c’est de fonctionner par antiphrase, en feignant d’enseigner la muflerie pour mieux la conjurer ; le maître ironique entend « dépeindre dans ses couleurs originales l’ignominie de mœurs repoussantes, afin qu’elle soit vue par tous et que par conséquent, on se sente tenu de la fuir ». Programme qui laisse toute latitude une peinture complaisante… Comme le remarque Vigliano, il « semble bien que Dedekind éprouve quelque délectation à décrire par le menu les divers vices et marques de rusticité ». Voguons donc vers une (dé)réglementation de la longueur de la morve et de l’amplitude du rôt – sans oublier le meilleur moyen d’indisposer les convives ou de gâcher une soirée. Comme dans de nombreuses proses de la Renaissance, on ne sait trop l’intention dernière de l’auteur : la redondance des propos signale-t-elle un abandon à une rhétorique bouffonne ? S’agit-il de stigmatiser, sous un jour luthérien, une humanité déchue ? Toujours est-il qu’à nos yeux, Grobianus paraît bien avoir annoncé les principes du grunge – « déchirer ses vêtements dans tous les sens a, de nos jours, je ne sais quoi de glorieux » – comme les attributs du gay – « Etre accompagné par un chien-chien qui fait les délices de son maître n’est pas mal vu ».
Gilles Magniont
Grobianus. Petit cours de muflerie appliquée pour goujats débutants et confirmés de Friedrich Dedekind
Traduit par Tristan Vigliano, Les Belles Lettres, 224 p., 23 €