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Poésie Poèmes du gauche

mai 2006 | Le Matricule des Anges n°73 | par Emmanuel Laugier

Le Sortilège

On connaît un peu Robert Creeley en France grâce à deux traductions disponibles : celle de son roman autobiographique L’Insulaire (Gallimard, 1972) et celle d’un ensemble de poèmes traduit par Jean Daive (La Fin, Gallimard, 1998). Mais surtout comme le compagnon de route de l’une des aventures les plus riches de la poésie américaine post-objectiviste (après les William Carlos Williams, Wallace Stevens, Charles Reznikoff, etc.), celle du groupe de recherches Black Montain dont il dirigea la revue entre 1954 et 1957 et où se rassemblèrent, entre autres, Charles Olson, Robert Duncan, John Cage, Robert Rauschenberg, Merce Cunningham. Ce groupe travailla à l’élaboration patiente et savante d’une interdisciplinalité qui ne fit qu’enrichir le médium poétique lui-même. Né en 1926 à Arlington (Massachusetts), disparu en octobre 2005, d’abord disciple et ami de Charles Olson, l’écriture de Robert Creeley est souvent perçue comme la stricte recherche de formulations minimales, serrées, squelettes en somme de mots épurés, par opposition à l’écriture maximaliste ou épico-historique d’Olson. S’il est vrai que cet aspect de la poésie de Creeley sera vite la sienne, jusqu’à la maturité de Live & Death (1998), il n’aura jamais cessé pour autant de viser à décrire les sensations immédiates et les perceptions du monde extérieur, en un sens qui le rapproche alors de William Carlos Williams.
Toutefois, c’est dans une langue peut-être plus oblique, plus opaque sûrement et riche en déplacements syntaxiques et grammaticaux, qu’il se singularise et donne à ses poèmes un ton balancé entre retenue pudique et vision crue. On entendra bien dans Le Sortilège cette façon d’aller, comme une démarche un peu boiteuse, voir gauche dans l’approche du réel, mais cela fait tout le charme hésitant et indécis, comme le dit son traducteur Stéphane Bouquet, des commencements, voire celui dont ne se départira jamais tout à fait l’œuvre de Creeley. D’une lune en quartier apparue dans Litteton, N. H., comparée aux tranches d’une tarte, Creeley fait l’hypothèse d’un graphe, symbole du mouvement. Mais immédiatement d’ajouter, ce qui fait la force d’indécision de ce poème et son absence de prétention, voire de dogmatisme : «  Impossible (il est) pour l’étranger/ de simplement comprendre cela. Il déambule seul ici/ trouve élan et satisfaction à la fois hors & loin de lui./ Il y avait cette route,/ elle quittait la voie principale/ pour finir derrière, dans le jardin.// Maintenant, (sua culpa) Kenneth se tient à l’angle/ et remarque la traînée du nuage depuis/ le troisième angle de/ (pas la pièce mais) la vie. » Ailleurs, Creeley, qui use dans ce livre, de styles et de registres d’écritures allant de « longs poèmes à la verbosité élégante et combinatoire » à des « tentatives de poésie musicale et sur-rythmée » en passant par des « poèmes concis, elliptiques, laconiques, fidèles au style minimal qui valut à l’écrivain sa renommée » (S. Bouquet), peut écrire sous un titre ironique (« Le Festival ») une scène glaçante : « La mort fait sa/ révérence :/ aux deux/ premiers, des enfants. Le mur/ qui s’écroule, pour les saisir et puis/ une autre, la tante, 6 ans/ aussi. » Vers courts, ici, usage de l’enjambement, évoquent sans pathos l’irréparable effondrement d’un mur sur l’enfance, une pure injustice à laquelle nous confrontent le réel et ses soubresauts. Ce quotidien, Creeley le laisse à sa place, il ne cherche pas à synthétiser la rumeur multiple du quotidien en une vision ontologique ou métaphysique. Le poème laisse à sa place tout l’ordinaire passage du temps et des choses, ne les expérimente peut-être que pour les placer là où ils sont, et qu’ils mordent « droit au but » ( bite/their way/home) : « La silhouette des herbes au bort de/ l’eau est une évocation », «  Tes nichons sont rosés dans l’aurore/ bien que tout petits  », « Hier soir je parlais/ à un ami & sa femme/ des plongeons », «  Quand je suis rentré je ne suis pas/ rentré  », tout cela, par exemple, et beaucoup d’autres choses qui vous chantonnent à l’oreille, « car qui chante meurt,/ ce qui continue continuera ».
Emmanuel Laugier

Le Sortilège de Robert Creeley – Traduit de l’américain (et postfacé) par Stéphane Bouquet, Éditions Nous, 120 pages, 18

Poèmes du gauche Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°73 , mai 2006.
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