Ivresse de brumes, griserie de nuages : anthologie de poésie bouddhique coréenne (13è-16è s.)
Étonnamment modernes, gorgés de vie naturelle et d’immédiateté, les 125 pièces que nous propose cette anthologie de la poésie classique bouddhique coréenne. Composés en chinois (les anciens Coréens parlaient en coréen mais écrivirent en chinois jusqu’au XVe siècle), ces poèmes sont dus à des moines ayant pour la plupart choisi la vie d’ermite dans les montagnes. Sobres, denses, concis, ce sont le plus souvent des quatrains révélant la quintessence d’un paysage aussi réel que mental. Fruits de la méditation, du désir de s’absenter de sa vie propre, de s’abstraire du monde des choses, des êtres et des illusions, ils témoignent d’un autre rapport au réel peut-être pour nous proposer de le partager ?
Pour ce faire, il faut se délivrer du souci et des conditionnements psychiques. Se libérer de la vie identifiée à l’existence d’un moi, rejeter les prétentions de la raison discursive à régenter nos vies. Congédier le monde illusoire de la dualité, se détacher de tout vouloir, lâcher prise, se laisser aller. « Montagne profonde et bois épais conviennent à une vie retirée,/ Tranquillité des alentours, rareté des gens : exaltation surabondante./ Ici l’on se rassasie de la saveur de la pureté,/ Soudain oubli de l’existence : spontanément on laisse aller. » (Kihwa).
Ne plus courir après les apparences, se désencombrer du poids du monde, retrouver une expérience originaire du monde. « On marche sous la lune, lève le regard : monts dressés, abrupts,/ On enfourche le vent, tend l’oreille : eaux froides, glaciales./ Le registre de vie de qui cherche la Voie n’est que ceci :/ A quoi bon, insignifiantes, infimes, les attaches du monde ? » (Kihwa).
Dépasser toute forme de pensée figée, se délier, vivre dans le dépouillement et la solitude. Bonheur d’une vie simple. « Matin de givre, on ramasse des châtaignes gelées, / Soir de brume, on cueille des plantes fanées./ Bol grossier où l’araignée fait sa toile,/ Cendres froides où l’oiseau trace des glyphes. » (Pou). N’être plus que pure activité vitale fondue dans le dynamisme universel qui constitue et dissout. Atteindre un état de parfaite désappropriation, trouver le chemin qui mène à l’absolu, s’enivrer d’être, connaître cet état dans lequel rien ne manque plus, où tout vous appartient : plénitude, suffisance, liberté, sérénité. Peut-être alors s’ouvrira le chemin qui mène à l’absolu. « Avoir la passion de voir la Voie, c’est s’égarer dans la Voie,/ Vouloir à tout prix chercher la paix tourne en inquiétude./ On atteint la paix par l’oubli de la paix, voir par l’oubli de voir :/ Une fois cela compris, tout est simplifié. » (Ch’ungji).
C’est cet au-delà des contingences, des attachements, des conventions qu’expriment très simplement, et parfois très magiquement, ces poèmes. La compagnie des nuages, le murmure de l’eau ou l’éclat du torrent, le chant des pins, le thé qui fume, les bambous pliant sous le vent, l’ermitage sous la lune… La contemplation, l’intuitif, le brut et le beau, l’essentielle simplicité d’une expérience toujours à la limite de l’indicible. « Jaunes chrysanthèmes, verts bambous, rien d’autre / Lune claire, vent pur, ce n’est pas la poussière./ Tout, partout, est à nous,/ On y puise à son gré, on en use à sa guise./ Au pied du mont Seul, il fait bon vivre,/ Riz peu coûteux, bois abondant, voisinage suffisant./ Candide, le vieux rustique, sans malice/ À la demande donne à tous le feu du foyer. » (Kyonghan).
Ivresse de brumes,
griserie de nuages
Anthologie
de poésie
bouddhique
coréenne
(XIIIe au XVIe s.)
Traduit du chinois
et sino-coréen,
présenté et annoté par Ok-Song
Ann-Baron avec
la collaboration de Jean-François Baron
Gallimard, « Connaissance de l’Orient »
288 pages, 23,50 €