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Domaine français Bataille sous les crânes

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Anthony Dufraisse

Il y a de fait suite à Il y a un. Gabriel Bergounioux poursuit son cycle romanesque placé sous le signe d’une drôle de guerre.

Les affectations ont été distribuées. La jeune recrue qu’on avait quittée dans le précédent livre a trouvé un poste à la mesure de son handicap. Aveugle (comme fut, dit la légende, Homère), il est préposé aux liaisons radio sur un bâtiment de guerre. Narrateur à l’ouïe fine, il raconte une guerre de position, si l’on peut dire mouvementée. Sur le théâtre des opérations, ce navire est censément « intégré à un dispositif de blocus maritime » d’une citadelle ennemie. Censément, car point de vaisseau ennemi et de forteresse à l’horizon. « Ceux d’en face » ne se montrent pas, pas même par politesse. Si interminable est l’attente qu’on en oublierait la guerre, n’étaient les répétitions générales qu’orchestrent à tour de rôle de tatillons chefaillons. D’entraînements improvisés en simulations stimulantes, on joue à la guerre plus qu’on ne la fait vraiment. Ces exercices de routine entretiennent l’illusion de l’assaut imminent en un simulacre infantilisant à force, si truffé, par l’auteur, de formules stéréotypées qu’on s’y croirait. Un seul mot d’ordre vaut : « Suivre les instructions » pour « développer des réflexes ». Tout le monde est en piste à la moindre fausse alerte, en place à chaque inspection pour une guerre dont on se met à douter qu’elle a bien lieu. Le doute s’insinuerait si n’étaient rabâchées en boucle les dépêches comminatoires de l’Amirauté. D’exhortations en avertissements, de récriminations en rodomontades, de remontrances en imprécations, l’état-major matraque sa propagande. « Le message diffusé par haut-parleur qui donne chaque soir l’état du front et le résumé des communiqués du gouvernement », voilà toute l’actualité. Voilà à quoi se résume la guerre : une logorrhée radiophonique. Récepteur, le narrateur fait donc suivre ces informations toujours dilatoires et belliqueuses. Le discours de la guerre a beau être au point, à la virgule et au mot près pesé, rien n’y fait, point de branle-bas. « À quoi on sert, nous, l’épave posée dans un endroit sans personne ? » Bonne question, mais de réponses que nenni. Pas une torpille en vue, pas un obus. Pas le moindre début de commencement de pilonnage. Les seuls projectiles qui tombent, ce sont les mouettes, là-haut tournoyantes, qui conchient collectivement sur le cuirassé. Sinon RAS : rien à secouer. Si bien qu’à ne pas aller au feu, le bateau devient une vraie « cocotte-minute ». Le huis clos rend la soldatesque fébrile et instable. À défaut de combattre, on combine, on complote et on finit par s’embrouiller. Ça trafique tout à trac et ça canonne sous les crânes. Des lignes de front se dessinent au sein du navire. D’abord entre les malabars qui s’improvisent caïds face à l’encadrement des hauts gradés, religieusement planqués dans leur PC (« Les officiers ? Jamais on les voit. Quand je dis jamais, c’est jamais ») ; ensuite entre marins et mafieux. Les matelots de première classe se font ainsi doublement exploiter, et par la hiérarchie officielle et par cette organisation parallèle. Le mitard ou le racket, à chacun son moindre mal. De tous les bords le bateau prend donc l’eau, et le narrateur s’en fait le greffier.
Loufoque, le délitement programmé de cette micro-société (faut-il y voir une image de la société tout entière ?) est orchestré par Bergounioux dans une langue oralisée à l’extrême. À force de vivre dans la rumeur de la guerre, à bord « il finit par se bâtir des romans ». Rumeur contre propagande, c’est à qui prendra l’ascendant sur l’équipage. La rumeur porte en son sein la déviance. À travers ses manifestations les on-dit, le ouï-dire, l’affabulation, les soupçons, elle court-circuite la logorrhée guerrière. Revenant à intervalles réguliers, la formule « Paraît que… » sème ainsi le doute dans les esprits. Au bout du compte, comment qualifier cette épopée contemporaine ? Grotesque, ubuesque, burlesque. Ni exploit, ni héros, ni hauts faits, rien d’édifiant en somme, rien qui soit, comme dans l’odyssée homérique, mémorable : « Y a rien à raconter ». Si dérisoire est la guerre moderne qu’elle en devient indicible ?

Il y a de
Gabriel
Bergounioux
Champ Vallon
247 pages, 18

Bataille sous les crânes Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.