Quand Albie Starbach n’est pas en colère, il est amer ce qui n’est jamais qu’une manière, certes adoucie, de l’être encore. Cumulant les petits boulots, ce Starbach n’aurait guère d’intérêt s’il n’avait depuis l’enfance de sévères hallucinations. Son imaginaire parasite la réalité sous forme de fantômes de desperados qui lui apparaissent intempestivement. Lui-même, à force, se prend pour un cow-boy. Il en a la dégaine et il sait sur le bout des lèvres son répertoire country, fredonné entre deux chiques. Dira-t-on que le personnage de Callaghan est un raté paranoïde ? Disons plutôt qu’il est perdu et éperdu. Pas de vie sociale, sauf à penser que le tripotage de strip-teaseuses est une forme de sociabilité ; pas d’aspirations non plus. Pourtant, indéfinissable, quelque chose le travaille. La fierté n’y fera rien ni non plus le désir d’en remontrer à certains, il s’abandonne à une poisseuse mélancolie, impuissant à voir clair en lui. Progressivement il s’enferme dans une solitude proche du solipsisme, propice à renforcer son instabilité mentale. Mais Sébastien, « un petit garçon à la face d’ange », réveille en lui l’affection et la tendresse. Entre eux s’installe une complicité, celle des mal-aimés. Il pourrait revivre Albie, enfin compris par quelqu’un, si la société ne l’en empêchait, interdisant, par le soupçon généralisé, ce genre de relations. C’est ne pas comprendre que ces deux-là sont d’égal à égal : par sa maturité l’enfant a tout d’un petit homme, et Starbach tout de l’homme que l’enfance n’a pas quittée. La suspicion fera qu’il va définitivement s’assombrir et, fataliste, sombrer. Les toutes dernières pages le montrent littéralement anéanti, on lira comment la mort se donne à lui (un indice dans l’épigraphe). Ce roman est une marche à la mort, une imploration sourde.
Jamais est l’écho de toujours de Barry Callaghan
Traduit de l’anglais par Claire et Louise Chabalier, Les Allusifs, 151 pages, 13 €
Domaine étranger Marche funèbre
janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Marche funèbre
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°79
, janvier 2007.