Bien qu’il n’ait pas la prétention de dépasser Soljénitsyne ou Chalamov en dressant un tableau total de l’univers du stalinisme, ce premier roman mérite d’être lu pour son habileté intimiste à peindre une époque, un système par le petit bout de la lorgnette. Centrant sa narration sur un personnage sans grande envergure, il nous montre à la fois la dimension humaine de l’horreur soviétique et la puissance de ses rouages.
Pavel est un professeur de littérature qui, pour avoir contribué à diffamer un de ses collègues, s’est vu obligé d’accepter un travail d’archiviste dans la fameuse prison politique de Moscou : la Loubianka. À l’heure du pacte germano-soviétique, il classe puis brûle les manuscrits des auteurs arrêtés et condamnés. C’est lorsqu’il tombe sur une nouvelle inédite d’Isaac Babel qu’il prend conscience de sa responsabilité. Parviendra-t-il à sauver ces textes et donc un peu des hommes qui les ont écrits ? Parallèlement, sa vie personnelle, grisâtre, traversée de minces éclairs de bonheur, nous est contée : sa mère qui perd la tête, sa femme dont il désespère de récupérer les cendres, sa voisine qui lui offre un peu d’amour, un chien adopté… On glisse du tableau de la vie quotidienne dans l’Union soviétique de 1939 à la fresque politique. Entre collaboration et résistance, Pavel évolue sur le fil du rasoir. Ses supérieurs jouant avec lui au chat et à la souris, l’on devine que la lame est aussi pour lui… Gogol, à qui l’on « avait affirmé que la littérature était un péché », a brûlé la deuxième partie des Âmes mortes pour « sauver son âme éternelle » et s’est laissé mourir ; Pavel, lui, signe son arrêt de mort en cachant des manuscrits. Ainsi par son roman Travis Holland rend hommage à des résistants anonymes autant qu’à la littérature.
Loubianka de Travis Holland
Traduit de l’anglais (États-Unis) par P. Giraudon, Éditions Héloïse d’Ormesson, 288 pages, 21 €
Domaine étranger Sauveur de manuscrits
février 2007 | Le Matricule des Anges n°80
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Sauveur de manuscrits
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°80
, février 2007.