Algues, sable, coquillages et crevettes : Lettre d’un poète à des comédiens et à quelques autres passeurs
Plus que jamais la poésie est, et demeure, un défi : au langage, aux habitudes de pensée, au sens. Et pourtant elle s’adresse à chacun, nous concerne tous, car la poésie est faite pour agir bien plus que pour dire. Ce qu’elle nous propose, c’est une autre saisie du réel, une forme inouïe d’approche de ce qui justement ne peut se dire, et qui relève du sens subjectif et mystérieux de l’existence. Comment dire un poème ? Comment le lire pour soi d’abord, et pour les autres ensuite ? C’est à ces questions, qu’en poète qu’il est, Jean-Pierre Siméon tente de répondre dans la longue et belle lettre (dont la première édition date de 1997) qu’il adresse « à des comédiens et à quelques autres passeurs ». S’interrogeant sur le sens du poème, il montre que la signification n’est pas le sens. « Tout le paradoxe du sens est là : un poème n’a de conséquence fertile en vous que s’il ne signifie pas ce que vous saviez déjà, s’il est d’abord un objet imprévu, une loi ignorée, un sens à venir donc à construire, bref s’il apparaît dans un premier temps comme un non-sens ». Car ni le comédien, ni le professeur, ni le poète ne sont là pour remplir le monde de significations. Le poème érode toute assurance, induit une densité, trouble jusqu’à l’intime, s’affronte à l’innommable ou au terrible inconfort de l’indéterminable. Un poète n’est pas un « communiquant », c’est un iconoclaste, un inquiéteur, un insensé qui témoigne d’un monde qui n’a rien de limpide, où règne Mal et malaise. Et cette vacillation du sens, cette indétermination, celui qui dit doit l’assumer en oubliant toute idée de performance. Il doit « Favoriser la possible émergence de l’émotion et non la prévoir, l’organiser, la modéliser par la voix et le geste. (…) Et chanter, chanter, chanter jusque dans le murmure, le refus et le silence ». Il était bon que tout cela soit redit.
Algues, sable, coquillages, et crevettes
de Jean-Pierre Siméon, Cheyne, 48 pages, 12,50 €