Comment oser résumer un roman dont le narrateur-protagoniste déclare lui-même : « Cela me rappelle Columbo » ? Il s’agit bien là, tout au long de ces trois cents pages touffues, bavardes à dessein, d’une enquête : qu’est-il arrivé au grand-père du héros, qui fut un grand violoniste juif de l’entre-deux-guerres ? A-t-il été massacré à Kharkov, au moment de l’avancée allemande ? Ou bien a-t-il, miraculeusement, survécu ? Et quel rôle ont joué, dans ce destin, le grand compositeur nazifié Kunze et sa famille ? Près de quarante ans plus tard, le petit fils, lui-même violoniste mais un peu par hasard, par raccroc tentera, en même temps, de percer ces troubles secrets, et de s’inventer une vie, après avoir quitté l’URSS pour Israël, et Israël pour cette Allemagne nouvelle ? C’est bien à une interrogation sur la mémoire et l’oubli, sur la vérité et la falsification, le réel et la mythologie, que se livre ici Guirchovitch (déjà remarqué pour son Apologie de la fuite) mais sous l’influence reconnue de Nabokov. L’humour se mêle à l’érudition elle-même ironique : jeu de références artistiques ou littéraires plus ou moins authentiques, allusions aux interprètes et compositeurs de ces temps difficiles (Strauss en premier lieu, mais aussi Stravinski ou Hindemith), accumulation de notes consistantes en fin de volume qui, nous prévient la traductrice (dont il faut sans doute saluer le travail), sont en vérité des « commentaires » qui « peuvent être lus comme un texte à part ». Dans ce concerto endiablé, c’est à une interrogation sur le mal et la culpabilité que nous avons affaire et la coda, dans son ambiguïté, est riche de résonances : « L’Europe a été empoisonnée par la beauté. »
Têtes interverties de Léonid Guirchovitch
Traduit du russe par Luba Jurgenson
Verdier, 282 pages, 22,50 €
Domaine étranger Comédie à l’allemande
avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82
| par
Thierry Cecille
Un livre
Comédie à l’allemande
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°82
, avril 2007.