On pourrait dire que le cinquième roman de cet Irlandais qui vit aux États-Unis n’est pas son meilleur. Qu’il était difficile, c’est vrai d’égaler le somptueux Les Profanateurs (Christian Bourgois, 2002). Qu’ici, Michael Collins a peut-être un peu trop chargé sa barque à vouloir mêler ensemble la théorie littéraire, le polar, la satire de l’Université, la philosophie pour les nuls. Ce serait dire notre déception, qui n’est pas cependant si grande. On salive d’avance à l’idée de lire un nouveau roman de Michael Collins, alors, forcément, quand celui-ci est seulement bon, on est déçu.
Le personnage qui donne son nom au titre est romancier et universitaire, puisqu’aux États-Unis, écrire et publier sont les sésames d’une bonne carrière d’enseignant. L’homme est le parangon de l’échec : piètre romancier à l’aune des listes des best-sellers, il n’est pas très considéré par sa hiérarchie. Contrairement à Horowitz, un ex-ami devenu écrivain célèbre que notre homme doit accueillir sur le campus quand commence le livre. Face à l’échec de sa vie, et, plus profondément, à l’échec à quoi serait condamné tout vrai écrivain dans un monde où la littérature n’est rien si elle ne rime pas avec succès, Pendleton se suicide, est sauvé de la mort par une thésarde, Adi qui va s’installer chez lui durant le retour à la vie du professeur. C’est là, qu’elle découvre un roman de Pendleton publié à compte d’auteur et aussitôt oublié : Le Cri. C’est un chef-d’œuvre, d’autant plus troublant qu’il raconte l’assassinat d’une jeune fille et que ce meurtre, qui a eu réellement lieu, est raconté ici comme si l’écrivain en était le coupable. Adi, aidée par le cynique Horowitz, fait publier Le Cri qui remporte un vrai succès et ressuscite l’enquête autour du meurtre, quelques années auparavant, de l’adolescente dont il est question. Cette enquête, menée par un « flic chargé des affaires non classées », est la réussite du roman. Ryder, qui la mène, est un homme rongé par sa vie familiale, en échec avec sa fille comme avec Gail sa compagne. Il s’accroche à son travail comme un bouledogue à la gorge de son adversaire, mais avec une compassion réelle. C’est là la patte de Collins : cette façon de prendre les hommes et les femmes au plus près en nous plongeant directement au cœur de leurs hontes, leurs petitesses. Comme si Ryder enquêtait autour de personnages de Raymond Carver.
La Vie secrète de E. Robert Pendleton pose la question de la validité de la littérature. Un romancier peut-il être jugé coupable parce que les détails qu’il donne d’un meurtre ne peuvent être connus que du meurtrier lui-même ? Un roman peut-il avoir un impact plus grand qu’un assassinat ? L’œuvre d’art se transcende-t-elle d’être accompagnée d’un crime ? Questions passionnantes que le roman cependant ne fait qu’effleurer, comme si Collins ne croyait pas en ses chances de pousser plus loin sa réflexion. Comme s’il préférait, une nouvelle fois, dresser un portrait d’une Amérique malade de ses valeurs : la gloire, la religion, la famille. Les hommes et les femmes de ses romans semblent perdus sous le poids d’une culpabilité quasi métaphysique. Leurs rêves sont morts depuis toujours et chacun reste définitivement seul : « il se soulagea dans l’obscurité de son ventre, dans la chaleur envahissante de son éjaculation en poussant un grognement, et Gail attendit puis s’éloigna, comme toujours, comme un bateau qui lève les amarres et quitte un quai, et elle glissa de son côté du lit. »
La Vie secrÈte
de E. Robert
Pendleton
Michael Collins
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Jean Guiloineau
Christian Bourgois
527 pages, 26 €
Domaine étranger Échecs et meurtres
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Thierry Guichard
Michael Collins jette un regard ironique sur le monde universitaire, avant d’enfoncer la lame de son écriture au cœur de l’American way of life.
Un livre
Échecs et meurtres
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°83
, mai 2007.