Dans « Vie et mort des mots », le poème en ouverture du Fils de l’accordéoniste, Bernardo Atxaga écrit : « Tu vois que les mots ne surgissent pas toujours/ Dans des zones industrielles solitaires ;/ ils ne sont pas forcément les fruits des bureaux de propagande./ Ils surgissent parfois parmi les rires,/ et ressemblent à des aigrettes envolées./ Regarde-les monter au ciel,/ regarde comme il neige vers le haut. » Ce texte engendre une extraordinaire profondeur de champ, terrestre, littéraire et cosmique. Les mots, les mots basques, fragiles, palpitants et beaux, les mots à l’agonie, David le héros les inhume dans une boîte d’allumettes, au creux de sa terre d’exil. Un ranch californien où il s’est installé pour échapper à son franquiste de père et à la lutte armée pour l’indépendance de son pays. Il va mourir d’un cancer. Il laissera un petit opuscule qui évoque cinquante années de vie et son village natal. Joseba, son ami de toujours le lira et en fera un roman. Roman sur le paradis perdu et retrouvé. Roman sur la solitude, la culpabilité, la trahison, les combats fratricides, mais aussi la beauté du monde et d’une langue. Roman tout bruissant du mouvement des âmes. Un roman, deux plumes, mille voix. Atxaga dit écrire comme les sculpteurs antiques retrouvaient, en tâtonnant à l’aveugle, une forme cachée dans la matière brute du marbre. La matière qu’il malaxe, c’est la mémoire qu’il réussit à rendre vivante en délimitant, de roman en roman, un lieu imaginé, Obaba. Né en 1951 près de San Sebastian, à la fois romancier, poète, nouvelliste, nourri par les avant-gardes et la Beat Generation, le très discret Bernardo Axtaga est l’un des écrivains basques les plus lus dans le monde.
Pourquoi avoir superposé deux narrateurs dans Le Fils de l’accordéoniste ?
Certains commentateurs ont affirmé que j’avais utilisé la technique du « manuscrit opposé », comme dans Don Quichotte. Mais c’est faux. Je l’ai fait dans Obabakoak (Christian Bourgois, 1995), mais pas là. Encore aujourd’hui, le jeu littéraire me fatigue. L’un des éléments de base du roman est la question du double, de là vient la dualité des versions. David et Joseba sont amis, presque des frères. Dans le roman, il est question d’entailles faites dans l’écorce d’un arbre. David a écrit ses mémoires, il a laissé une marque dans l’arbre ; derrière vient Joseba qui approfondit ces marques. Mais le temps gomme les différences entre les nouvelles incisions et les vieilles, et une seule inscription reste.
Vous donnez beaucoup d’importance à la forme…
La forme est, en principe, une obligation sociale. Pensons à Robinson Crusoé. Croyez-vous qu’il écrirait un roman, là, sur son île déserte ? Pas du tout. Il est inconcevable de penser que Robinson Crusoé aurait pu écrire en sachant qui n’allait pas avoir de lecteurs. En deuxième lieu, la forme est une obligation professionnelle. C’est ce qui différencie les blessés de l’écriture, ceux qui quotidiennement prennent des...
Entretiens Terres promises
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Dominique Aussenac
Par une subtile et polyphonique mise en abîme, entre battement d’ailes et pierre tombale, le Basque Bernardo Atxaga fait du village imaginaire d’Obaba, un territoire libre et fracturé comme le cœur des hommes.
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