Paru en 2000, Un même silence rassemblait pour la première fois (Bernard Vargaftig n’ayant alors jamais écrit que des livres en vers) douze ans de proses, et sept lieux d’enfances : Toul, Villiers-sur-Loir, la rue Montmailler, Limoges, Buzançais, Le Rieu, Nancy. On y traversait les places de chacun, la peur au ventre. L’enfant, en 1945, devait cacher son nom, en dire un autre, et dans cette double rature, inventer à toute vitesse une solitude qui ne le perdit pas. Ces proses, comme celles aujourd’hui d’Aucun signe particulier, en sont les réponses exactes, de « L’Aviateur » à « Faites la liaison » en passant par « Chauve-sourire » ou « Pas de photo », les perceptions sont dévidées à fleur de peau, comme les séquences d’un film où l’on se serait subrepticement glissé. L’auteur, comme en une sorte de montage très serré d’images, passe d’une situation à une autre, superposant à certaines descriptions, les ressentis troubles, aux échelles souvent lacunaires, non-réalistes, de l’enfance. Dans l’anonymat, dans les jeux interdits, face à la crainte de la milice, face à celle des noms tus à ne pas prononcer, le narrateur avoue : « J’avais peur du noir, faites comme si je n’étais pas là, j’aurai peur du noir jusqu’à ce que je te connaisse. Le lendemain, nous sommes allés au cinéma pour nous embrasser. Il fait noir et je ne t’ai rien dit encore. (…) Tu es née un 17 mai. Tu tiens mon bras et je t’aime. » Ces proses sont des accélérations où s’entrecroisent les mémoires vives d’un contact avec le monde naissant. Des sortes de monologues flashés, où l’écriture ténue de Bernard Vargaftig touche une haute intensité.
Aucun signe particulier de Bernard Vargaftig
Obsidiane, 76 pages, 13,50 €
Poésie Je me souviens
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Je me souviens
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°83
, mai 2007.