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Domaine étranger Route perdue

juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84 | par Lucie Clair

Le nouvel opus de Mo Yan est un « road novel » dans la Chine de la Révolution culturelle, prétexte à revenir sur la sombre condition des rééduqués.

Le Chantier

Une troupe de « travailleurs civils révolutionnaires » dénomination, nous renseigne la traductrice, des « mauvais éléments réquisitionnés pour les travaux publics » sous la Révolution culturelle, s’astreint à construire la « route de la révolution prolétarienne » dont ils ne savent ni où elle mène ni quel est son tracé, mais qu’elle traverse les anciens champs de bataille des Qin et permet la visite de « brigades de diffusion de la pensée de Mao Zedong » composée d’enfants de 8 ans. À tout prendre, ils préfèrent se bagarrer dans une ambiance proche des épisodes d’Astérix le Gaulois qu’entendre les discours moralisateurs auxquels ils ne feignent même pas de croire. « Comme vous avez tous quelque chose à vous reprocher, il vous faut mettre les bouchées doubles, suer sang et eau, accepter les critiques pour redoubler d’ardeur au travail, avoir l’esprit révolutionnaire et travailler à corps perdu, à corps perdu faire la révolution, ne pas rechigner devant l’effort, le faire au mépris de la mort, renforcer l’esprit de discipline, vous montrer vigilants, prévenir les sabotages qui seraient le fait des ennemis de classe, la révolution triomphe de tout, dites-le vous bien. » Le ton dès les premières pages est donné : sur Le Chantier règne une nette tendance à être débraillé, jouer aux cartes, et lutiner les femmes du voisinage plutôt que se préoccuper des grands principes politiques de la nation prolétarienne. C’est le propre de Mo Yan de manier l’humour et le picaresque, de prendre des accents rabelaisiens pour évoquer les heures les plus sombres de son pays et nous donner à rire non pas de l’Histoire, mais de ce que les hommes en firent.
En l’absence du commandant Guo, Yang Liujiu est le chef par intérim de cette bande livrée à elle-même. Trop occupé à séduire la belle Bai Qiaomai « veuve » peu farouche d’un chef de bataillon qui se serait enfui à Taïwan, et peu convaincu lui-même des vertus de la discipline, il ne s’aperçoit ni du trouble de son cuisinier Liu qui, à la vue d’une jeune vendeuse de ciboules, plonge dans ses souvenirs brûlants de haine, ni des enchaînements macabres que ses caprices provoquent. Meurtres, pillage, scènes inavouables soudain resurgies, trésor caché, chasse au chien, basculent le morne quotidien dans un récit où s’imbriquent les mémoires de chacun, où se dessine une fresque grotesque et sordide, tendre et émouvante en reflet des espoirs, des peurs et des regrets qui peuplent ces hommes abandonnés et nourrissent les ferments des tragédies, même les plus banales. Le chantier avance peu la Révolution est loin des tumultes des passions, incapable de les cerner, encore moins de les canaliser, et fait fausse route.
Né en 1956, Mo Yan est originaire d’un village du Shandong, province du nord-est de la Chine, à forte densité rurale. À 20 ans, il n’était pas sorti de son village, avait mangé du charbon pendant le Grand Bond en Avant. C’est l’année de la mort de Mao, il part travailler dans une usine de coton pour pouvoir intégrer l’armée à l’insu des cadres du parti de son village à l’époque l’intégration dans l’Armée rouge, garante d’un salaire et de repas réguliers, était réservée « aux paysans pauvres et aux cadres. » Il n’était ni l’un ni l’autre mais a servi vingt ans, écrivant « en pensée » pendant ses heures de garde, gratifié des compliments de ses supérieurs pour son impassibilité. L’homme est ainsi, rond et calme, lisse. Il produit des textes rêches, âpres et piquants. Son roman Le Clan du Sorgho adapté à l’écran par Zhang Yimou en 1986 sous le titre du Sorgho rouge lui valut un ours à Berlin et la reconnaissance internationale.
Ses parutions suscitent, outre l’engouement pour son franc-parler, voire sa verdeur inédite pour certains chez un Chinois, les stéréotypes ont la vie dure un intérêt consensuel, à l’aulne de celui qu’il crée subtilement, par une position où le non-dit permet à chacun de trouver ses propres repères et sources de bonheur. Et l’on se dit que ce n’est pas pour rien qu’il a pris pour pseudonyme ce Mo Yan qui signifie « celui qui ne parle pas ».

Lucie Clair

Le Chantier
Mo Yan
Ttraduit du chinois par Chantal Chen-Andro
Seuil, 215 pages, 18

Route perdue Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°84 , juin 2007.
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