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Domaine français Roses d’automne

juillet 2007 | Le Matricule des Anges n°85 | par Richard Blin

Comme quelqu’un qui chercherait à reconnaître sa demeure à tâtons, c’est la réalité du temps présent qu’ausculte Jean Clair. Mélancolique et décapant.

Lait noir de l’aube

C’est la suite de son Journal atrabilaire que nous donne Jean Clair avec Lait noir de l’aube, un titre venu d’un poème de Paul Celan, et qui condense à merveille la couleur et la matière des émotions propres aux pensées et aux réflexions d’un homme historien de l’art, ancien directeur du musée Picasso, commissaire de grandes expositions confronté aux errements de notre époque. Des pages où se mêlent « le grave et le léger, l’annotation et le savant essai, la touche et la fresque, l’esquisse et l’achevé, la maxime et l’impromptu ».
En quelques lignes ou en quelques pages, et sous un titre qui en indique le thème, c’est son intranquillité comme dirait Pessoa face à la rapide disparition d’un monde où la lecture et la méditation avaient encore leur place, c’est son désarroi face à l’humanisme mou où l’âme de notre temps s’enflasque, que décline Jean Clair. À partir de choses vues, entendues, lues, vécues, c’est une pathologie de notre époque qu’il dresse. Une société où règne l’idéologie du « festif » si décriée par feu Philippe Muray, du « spectaculaire », du « politiquement correct », du « culturel »… La Culture, « ce monument de savoir et de sensibilité » a fait place à l’artistisation de la société, à l’effacement de toute distinction entre art et non-art : plus de Culture mais des cultures, de la rue, des cités, des blogs, des minorités, de l’entreprise…
Amalgames hâtifs, glu doctrinale, impostures programmées, impérialisme de l’insignifiant, rien n’échappe à notre limier solitaire traquant, sous les reflets de l’actualité, ce qui couve dans les profondeurs et ce qui se prépare de ténèbres. La fête n’est que « danse autour du bûcher », la maison moderne se conçoit autour de la cuisine et de la salle de bains « culte du ventre et du bas-ventre » ; on fait du jogging alors qu’ « il n’y a que les enfants qui courent naturellement. Ou les voleurs que l’on poursuit. Un adulte qui court, court après son enfance, ou, pis encore, se sent poursuivi par elle ». On jette l’anathème sur le tabac, l’alcool, le café qui « l’a-t-on oublié ? aidaient à travailler, à produire, à s’éjouir aussi », tandis que la publicité pervertit allégrement les genres que sont la comédie et la pastorale, le tragique et le grotesque, pour nous vendre des pots de yaourt ou un crédit auto. De la trivialité des « communicants », à la « danse du scalp autour de l’art, ce que c’est, ce que ce n’est pas, ce que ce devrait être, ce que ce fut, ce que ce sera », c’est à l’agonie de l’art (« qui n’a fait qu’accompagner le déclin de la foi ») que nous assistons. Époque de soldes monstres, époque où s’achève, avec le lent naufrage de la langue, une manière de nommer le monde. « Mal dire, c’est maudire « , » avoir la haine », tant avec la norme qui disparaît, c’est la violence qui s’établit dans la société. On ne se rend pas compte que les fautes de langue sont des fautes de pensée, qu’employer « générer » à la place d’ « engendrer » c’est confondre cause et effet, qu’une expression floue cache une pensée fausse, que la langue commande le rapport à autrui. Le rappeler, c’est poser la question de l’enseignement, de la transmission, du rapport au savoir en ces temps où il se réduit à la technologie et aux techniques qui donnent accès au marché… Banalisation, nivellement, simulacre, dans un monde qui ne rêve aujourd’hui que d’un réel univoque et consommable.
Face à ce désarmement général de la pensée, face à ce degré zéro de la médiocrité, à ce « surmonde » d’images et à son galopant puritanisme d’apocalypse, le voyage n’est même plus une consolation : « pesants, rougeauds « , » le short ouvert sur des cuisses grasses et blanches, la grole au pied, le sac au dos «  » alpinistes en terrain plat », les touristes sont partout. Alors Jean Clair se console avec l’insondable capacité onirique de l’homme, et surtout en cultivant son amour de la lecture (Baudelaire, Pavese et Sebald, « ces deux grands errants mélancoliques », Proust, les journaux d’après 1945 de Jünger), et son approche de l’art. Qu’il parle du dessin de Music ou du Picasso rhétoriqueur, la pertinence de ses vues est toujours passionnante. Ainsi de la morale du joujou, chez Picasso encore, qui prend un relief tout particulier lorsque le joujou à démonter est un corps de femme, « et que le peintre s’arrange pour revisser, ployer et tordre ses différentes parties de sorte à les avoir toutes sous la main, bouche, seins, fesses, sexe et anus, du même côté du corps ».
À une époque où les maîtres du temps sont des Messieurs Loyal télévisuels, et où la réflexion a fait place à la sociologie constatative, il est salvateur de partager les chasses subtiles d’un des derniers vrais humanistes. Un ouvrage écrit dans l’amour de la vie et de l’art, nourri d’attention aux rapports qu’entretissent les mots avec leur mémoire et leur imaginaire. Du miroitement de l’intime au déploiement quasi musical des synesthésies, en passant par un kaléidoscope de petites aventures érudites, c’est une furtive métaphysique du temps et une thérapie par le savoir que nous donne à lire, en filigrane, Jean Clair. Très subtilement réconfortant.

Lait noir de l’aube
Jean Clair
Gallimard, « 
L’Un et L’Autre »
224 pages, 16,50

Roses d’automne Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°85 , juillet 2007.
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