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Choses vues L’été est fini

septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86 | par Dominique Fabre

Malgré le mauvais temps qu’on a les gens hésitent à ressortir leurs affaires d’automne. Il faut quand même en profiter, l’été ça ne dure pas. Hier sur le boulevard des Maréchaux j’ai vu une belle brune aux yeux verts qui filait droit devant, elle portait un manteau de mi-saison. Elle avait l’air préoccupée, de quoi ? Du temps qui se détraque ? Je ne sais pas. En tout cas elle faisait déjà sa tête de septembre. Elle était vraiment jolie mais personne ne la regardait, et puis, elle n’affichait pas cet air un peu rieur, un peu rêveur, qu’ont les vacanciers fraîchement revenus lorsqu’ils vont faire leurs grandes courses de rentrée au Géant Massena 13 ou au Carrefour de Bercy 2. Ils y vont à tâtons on dirait. Il faut se réhabituer. Ils ont une liste et un caddie. Les mômes louchent sur les agendas, les stylos plume et les bd. Touche pas ! Il faut d’abord boucler la fin du mois, et puis, mieux vaut attendre la liste de fournitures scolaires. La mer ou la montagne ne sont pas encore loin d’ici, mais les vacances sont terminées.

Des gens ne sont pas tous partis, chez moi. Certains sont même restés exprès. Ils préfèrent s’en aller en septembre, ou bien, ils ne veulent plus jamais bouger, surtout depuis qu’on nous a mis des vélos partout. En changeant de Vélib’ toutes les demi-heures maxi on peut pédaler gratos, mais ce n’est pas évident, car en certains endroits, les bornes sont toujours remplies. Les selles sont confortables, mais les vélos sont assez lents (3 vitesses). Bref, les bornes des Vélib’ ont tout du dernier salon où l’on cause. Donc c’est quand même tout un boulot de pédaler gratos à Paris, du coup je me suis beaucoup promené depuis le 15 août, mais à pied. On a des graffitis de Miss-Tic partout par ici, dans cette partie du 13e arrondissement. Elle est très inspirée dans le coin. J’aime, au 127 de ma rue : le mur a un grain, moi aussi. Il y a aussi (au 43, en passe d’être démoli) trop heureuse pour être peureuse, mais je ne sais pas si c’est vrai ou si Miss-Tic nous a menti ? Il y en a plein d’autres, et derrière tous ces murs avec ou sans grain, il y a la vie. Le mur a un grain moi aussi se trouve près d’un foyer de femmes, un hébergement d’urgence, elles arrivent toutes une par une avec le même pas pressé et discret vers le soir, elles sonnent. Trop malheureuse pour être peureuse, est-ce que ça marcherait aussi ? Trop peureuse, ça veut dire quoi pour ces femmes-là ?

Next door le Relais des Carrières n’aura pas désempli de tout l’été. Il abrite les types aux abois qui fument des clopes tard le soir, derrière les grilles de trois mètres de haut. Ils ne bavardent pas entre eux. Dans le même ordre d’idées ils sont en train de refaire le Château, un abri temporaire pour les enfants, dans l’avenue de Choisy. C’est près de Notre Dame de Chine, où les mômes peuvent apprendre des tonnes de trucs, du chinois au saxophone, des maths à l’acrobatie, dimanche compris.

Quand j’ai fini le tour de toute cette philanthropie je suis allé prendre le bus. Le Pc2 n’a pas chômé non plus pendant l’été. C’est même de plus en plus rempli ! J’en ai reconnu du printemps dernier, des gens. Des femmes avec des grandes poussettes, des types de toutes les nationalités, et puis les petits Africains des cités environnantes qui montent pour deux ou trois stations maxi. Chaque jour ils vont s’acheter des canettes et des paquets de chips, ou taper dans un ballon sur un terrain à la limite de Paris. Ces mômes-là ne partent sans doute jamais en vacances. Bien sûr, ils ne font pas la tête pour autant. Mais que penseront-ils de ces étés de leur vie quand ils auront quinze, vingt, trente ans ? Que la misère ne prend pas de congés, et nous, si ?

On a passé vraiment de bonnes vacances, chez moi. On est allés en Bretagne, à Nîmes et à Montpellier. On a bu de longs apéros, on a joué aux cartes, aux dés. On a bavassé de tout et de rien, surtout de rien, avec des bons amis. On a lu des romans avec du sable entre les pages ou dans les yeux. Du coup, vu qu’on était très occupés, on a loupé la plupart des nouvelles. L’été on n’apprend jamais grand-chose sur la vie, sinon que c’est trop bien de ne rien faire et de ne même pas s’en soucier. Les autres continuent sans nous. C’est même la saison idéale pour ceux qui font le sale boulot.

Le petit Ivan vient à peine de sortir du coma, à Amiens. Le petit Tchétchène enfant de ce peuple qu’ils « iront buter jusqu’au fond des chiottes », pour parler comme un président, a voulu suivre son père de balcon en balcon pour échapper à la police qui venait les embarquer. On va chercher les mômes de bon matin, n’importe où, n’importe comment. C’est l’été. Celui d’avant, l’ex-ministre de l’intérieur avait pourtant demandé un moratoire sur cette question des enfants d’étrangers non régularisés. Seulement, un an plus tard, il est devenu président, tout a l’air bien décidé. On voudrait quand même savoir quel nom donner à la bavure qui a failli coûter la vie à un petit môme de douze ans ? Devra-t-il aller « se faire buter jusqu’au fond des chiottes » maintenant ? Ils ont même décidé du nombre d’interpellations à faire, ils sont un peu en retard. Combien de bavures vont être nécessaires pour le combler ? Combien de mômes ? Combien d’étés ?

Je reviens de chercher le pain. J’ai croisé la jeune femme qui portait un manteau, elle avait un sourire d’ange ce coup-ci, je ne sais pas pourquoi non plus. C’est moi qui devais faire ma tête de septembre. J’étais content de la revoir. Je crois bien qu’elle m’a souri.

L’été est fini Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°86 , septembre 2007.
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