Quand une voiture passe sur la route de la Cascade à Támesis, elle souffle à la ronde un immense nuage de poussière. La route de Támesis n’est pas goudronnée, voilà pourquoi. Alors, femmes et enfants se ruent à l’extérieur des maisons pour à grands coups de seaux d’eau étouffer « la mer de poussière qui recouvre tout (…) jusqu’au Sacré Cœur de Jésus que nous faisons trôner dans la salle de séjour avec un cierge allumé jour et nuit, dans l’espoir de gagner à la loterie. » Mais la naissance du cinquième des vingt frères du narrateur annonce une ère nouvelle. Voilà « Carlos Ier de Támesis, qui n’aura pas d’égal et qui, lorsqu’il sort sur son brancard surmonté d’un dais, bénit la foule ». Un maire avec des rêves de routes goudronnées, d’écoles remplies de pupitres, d’une ville munie de tout-à-l’égout. Mais nous sommes en Colombie, là où celui « Qui se fait élire pour le bien de son prochain et non pour son propre bien est un couillon ». Là où les morts « de plomb » ne laissent que les traces qu’un vieillard veut bien graver de son couteau sur un poteau de bois. D’ailleurs, le narrateur aussi est mort, et c’est de là-haut qu’il imagine les aventures épiques de Carlos pour transformer Támesis la pauvre en Támesis la riche. L’écrivain, qui vient d’abandonner sa nationalité colombienne pour renaître au Mexique, raconte ce pays qui meurt de son café, qui meurt de ses plantations de fleurs « sous ses tunnels de plastique qui nous chient dans le paysage et qui font baisser le niveau de notre nappe phréatique », qui meurt sans s’arrêter. La prose de Fernando Vallejo est ce qu’elle donne à voir, elle prend la forme de cette réalité folle où les morts sont repêchés par des « mains charitables (…) pour quelques pesos et les remettaient, tout gonflés, bouffis, défigurés, avec des algues et des poissons dans les tripes, à leurs familles ».
Carlitos qui êtes aux cieux de Fernando Vallejo
Traduit de l’espagnol (Colombie) par Jean-Marie Saint-Lu, Belfond, 159 pages, 18 €
Domaine étranger Adiós Colombia
novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Adiós Colombia
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°88
, novembre 2007.