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Poches L’autre combat

novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88 | par Anthony Dufraisse

Ancien partisan, Ettore est de ceux que la paix revenue laisse désœuvré. Retour à l’Italie d’après-guerre avec ce roman du talentueux, mais trop méconnu, Beppe Fenoglio.

Si Cesare Pavese a passé les Alpes, ce n’est pas le cas, hélas, de Beppe Fenoglio (né en 1922, et non en 23 comme indiqué dans la notice de l’éditeur). Si ses principaux livres ont été traduits ces dernières décennies, et fort bien, ils sont aussi fort difficiles à trouver, tous ou presque épuisés qu’ils sont aujourd’hui. Comme Pavese, Fenoglio était piémontais. Comme lui, il est mort assez jeune, en 1963. Une mort de fumeur, par les poumons. Il avait 41 ans.
Beppe Fenoglio ne verra jamais publier ce roman, paru en 69, l’un de ses tout meilleurs assurément, et qui vient juste après le mémorable La Guerre sur les collines (1968), sans aucun doute possible son maître-livre. Du reste, à l’exception de quelques-uns (Les Vingt-Trois Jours de la ville d’Albe, 1952 ; Le Mauvais Sort, 1954 ; Le Printemps du guerrier, 1959), ces livres les plus aboutis seront tous posthumes. Cette publication d’outre-tombe, justement, c’est ce qui a permis, en Italie, d’entretenir sa mémoire. Des querelles philologiques liées aux divers états de ses manuscrits ont maintenu Fenoglio en vie. Mais en France, ces lecteurs se font rares. Et quand on aurait pu le découvrir, par exemple lorsque la littérature italienne tint salon (du livre) il y a quelques années à Paris, curieusement il passa inaperçu. À d’autres les honneurs et les fleurs.
Le personnage principal de La Paie du samedi s’appelle Ettore et, par certains traits, il ressemble à l’auteur. La part de l’autobiographie n’est sans doute pas négligeable dans ce roman puisque Ettore, comme Fenoglio, a participé à la Résistance. Tout comme son personnage, il a pris les armes et le maquis contre les milices fascistes. Le Duce tombé, Fenoglio travaillera dans une entreprise vinicole, au contraire d’Ettore qui, et c’est bien là tout le propos du livre, ne parvient pas à se réadapter socialement. Certains reviennent du feu comme des zombies, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, parce que blessés, brisés, traumatisés. Pas lui. Il est de ceux que la paix revenue laisse désœuvré. La scène inaugurale, une dispute violente entre Ettore et sa mère, donne le ton : « Moi je ne m’y retrouve plus dans cette vie, et tu le sais très bien, mais tu t’en fiches. Je ne m’y retrouve plus parce que j’ai fait la guerre. N’oublie jamais que j’ai fait la guerre, et que la guerre m’a changé, qu’elle m’a fait perdre l’habitude de votre vie à vous. Moi je l’ai tout de suite su que je ne m’y retrouverais plus dans cette vie-là ». Cette vie-là, ordinaire, il n’en veut pas. Pas après avoir connu l’exaltation du combat, pas après avoir vécu la fraternité au feu et lutter pour un idéal. Après tout ça, comment pourrait-il pointer à l’usine ? Revenir à la vie d’avant ? Impossible. Redevenir anonyme, se fondre dans la masse quand on a été une manière de héros ? L’ancien maquisard qu’il est ne peut ni se retrouver derrière un bureau ni enfiler le bleu de travail des ouvriers à la chaîne et trimer en vue de la paie du samedi. C’est cela que raconte Fenoglio, le difficile retour à la réalité, à la normalité, de celui qui n’est plus un môme, pas vraiment un homme. De celui qui trouve écœurant le matérialisme des petites vies ordinaires et qui vient buter contre l’incompréhension des siens.
Ce personnage autour duquel se tissent tant de déceptions et d’espérance paraît nourrir un complexe de supériorité. Il ne veut pas être comme les autres. Et la naïveté avec laquelle il affiche ses prétentions dans des soliloques le rend attachant : « Moi je ne serai jamais des vôtres, quitte à faire n’importe quoi d’autre, jamais des vôtres. (…) J’aurai un sort différent du vôtre, ni plus beau ni moins beau, mais différent. (…) Impossible que je sois des vôtres ».
Un sort différent… ce sera, temporairement, une reconversion dans le racket. Le voilà en effet troisième larron d’une doublette de forbans, où Bianco commande et Palmo exécute. Entre trafic et chantage, ce substitut de vie guerrière ne dure qu’un temps. D’abord assumée, cette marginalité sera bientôt abandonnée pour un désir, ou ce qui y ressemble, de respectabilité auprès de Vanda, sa femme.
D’une sobriété touchante, extrêmement efficace lorsqu’il s’agit de peindre les pensées d’Ettore, Fenoglio ne s’embarrasse pas d’artifices littéraires. Son écriture précise, concise, a souvent le don du naturel et la vitalité de la parole, intérieure ou dialoguée. Ettore, comment en douter, est une figure aussi singulière qu’archétypale. Il est à la fois l’incarnation du héros déçu et déchu, de l’homme-enfant, et finalement l’objet du destin. Sans cesse il se débat pour vivre autre chose, autrement, jusqu’à la scène finale, terriblement ironique, on verra pourquoi.
Un peu de l’histoire de l’Italie d’après-guerre transparaît sous la fiction, une histoire à laquelle le cinéma néoréaliste nous a quelque peu habitués : ce roman-ci a lui aussi valeur documentaire sur cette époque de transition. C’est ce que disait Italo Calvino, qui, nous rappelle l’éditeur, voyait dans La Paie du samedi « un document de l’histoire d’une génération ». On espère maintenant que l’éditeur réimprimera bientôt La Guerre sur les collines qui mérite aussi de sortir de l’oubli.

La Paie du samedi
Beppe Fenoglio
Traduit de l’italien
par Monique Baccelli
Gallimard, « L’Imaginaire »
154 pages, 6,50

L’autre combat Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°88 , novembre 2007.
LMDA papier n°88
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