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Poésie À bord d’abîme

novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88 | par Richard Blin

À travers un sensoriel corps à corps avec le réel, « Les Animaux industrieux » est une magnifique méditation poétique sur la gloire sauvage et les rêves échoués de l’homme, signée Auxeméry.

Les Animaux industrieux

On ne se doutait pas en ouvrant Les Animaux industrieux d’Auxeméry - sans prénom - que nous allions commencer la lecture d’un de ses livres - plus que rares - qui dès les premières lignes vous arrêtent, vous retiennent puis vous captivent littéralement. Une puissance d’effet toute particulière, un éclat, un pouvoir d’inflexion et d’échos conjoints à la force révélante d’une vérité aussi blessante que belle. Un chant d’amour étranglé à la vie, à cette humanité sans âge à l’étroit entre nature et culture, et tiraillée sans cesse entre l’ange et la bête, comme entre le Réel menaçant et le déphasage permanent entre ce que nous sommes et ce que nous aspirons à être.
D’Auxeméry, né en 1947, et dont on nous dit qu’il vécut dix ans en Afrique, a parcouru le monde et traduit de nombreux poètes américains (William Carlos Williams, Charles Reznikoff, Ezra Pound et surtout Charles Olson), nous n’avons lu ni Parafe (Poésie/Flammarion, 1994) ni Codex (id., 2001), mais nous allons vite nous rattraper tant l’onde lancinante de ses Animaux industrieux nous y invite, elle qui relève d’une langue en habits de chair, et qui, par-delà le destin d’une vie et d’un monde qui se délitent de concert, redonne à la poésie tout son efficace.
Se gardant de l’apitoiement sur soi - « On est avancé, de fait. L’âge, l’usage, les bilans. Trop de pesanteurs sous les ailes, on s’est fait des écailles » - comme de l’abandon - « On va vers sa fin. On est terminal. On ne germera plus » -, et s’interdisant toute naïveté, Auxeméry recherche une vérité de parole qui, refusant d’oublier le désespérant, opte pour les creux, les crêtes et les lames de la relance énergétique, de l’excitation de la quête, du désir. « Réapprendre à être pupille vive et dent que le désir aimante ». « Ne plus se satisfaire - fabriquer un peu d’incertain, de rumeur, d’alternative. (…) Un coup de reins, et tu romps le charme, tu retapes la dépouille. (…) Réveiller les ombres, et prier que sur la plaine, les guerriers s’égorgent. (…) Sur le rempart, là-haut, la forme a vacillé, des désirs ont décoché// Hélène se dérobe, tombe le voile, la flèche l’a frôlée.// Prendre les désastres aux mots - jaculation, cris, péans. Rhétorique d’urgence. »
La visée plus que la cible. Retrouver l’acuité des sens. Marcher, chasser, « Savoir voir savoir marcher encore savoir se poser/ au grand midi », s’enfoncer dans des espaces où tout n’est que signes nécessitant un vrai savoir d’interprétation. « Oh, plus de saisons froides - non. Des passages, des traversées ». S’aventurer dans un monde où les sensations se font intuitions, où le beau impose le respect et où on sait encore « saluer le soleil ».
Commence alors une sorte de très long poème modulant toute une série de variations autour de l’enfoncement dans cet Autre et ce Nôtre qu’est le monde. Plongée dans la matérialité du monde, « lire du doigt sur le ventre des pierres/ consommer les cadavres affronter// ce qui de dessous vient faire homme/ ce qui d’animal crie dans les minéraux ». Revenir à la source du feu « derrière la vitre des âges », confondre son corps avec la route parcourue, rêver avec Segalen (cité en exergue, avec Buffon et Michaux) d’une sensorialité ouverte où l’être communiquerait sans intermédiaire avec le monde.
Blocs de strophes, vers isolés s’enchaînent et s’entendent à merveille pour nous transporter dans une temporalité autre - celle des orants et du sacré, des cultures primitives et de la présence quasi animale à l’immédiat. Corps à corps avec le réel. « Partir me vérifier// entre signes & sens là où existe/ le lieu qui lie & donne forme// à jamais passager & en son lieu partout/ incapable de s’installer mais œil & langue/ & corps organique épousant toutes les failles ». Car parallèlement à la poursuite de « l’animal obscur qui travaille », c’est la saveur du réel, quelque chose comme sa joie, que poursuit Auxeméry. Derrière la tripe, la chaude intériorité des corps, c’est à une sorte d’ingestion lyrique du monde qu’il nous convie. Autant qu’à ses efforts pour bondir hors des fatalités, « sortir, sortir des cercles ». C’est cette volonté alchimique, ce « traitement des figures par dissolution et coagulation », que donne à éprouver Les Animaux industrieux. « Par les travers, par les pentes et les dévalées,// à la limite de l’embolie, vers le précipice,// - c’est à l’obscurcie, à l’effarée, à la grippe-souffle,// qu’on aura vu, mais vu ! Et on se sera dissous, en effet. »
Une venue à la parole à partir de la « face inverse du masque ». « Sans doute sous le masque l’animal/ a-t-il dévoré la face que je fus// sans doute l’animal s’est-il plu à devenir/ ce dieu dont la mâchoire sanglante rit ».
Antériorité, intensité, résonance, c’est tout le devenir-trace du poème que met en mots Auxeméry. « Maintenant que les langues humaines s’usent & sombrent/ que la meute fascinée par les écrans bégaie// toi, nerf & muscle// tends encore la corde de la lyre/ frappe le ventre du tambour d’aisselle/ jette les braises dans le cercle des danseuses/ & module ». Une écriture fauve dont le réalisme lyrique accentue les effets de désignation, d’envol ou de creusement. Une neige de minuit se mêlant à des cendres d’éclairs. Des vérités vulnérantes flambées à l’alcool de tous les désirs et de toutes les souffrances. Une inoubliable danse parmi les serpents.

Les Animaux
industrieux

Auxeméry
Poésie/Flammarion
192 pages, 18,50

À bord d’abîme Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°88 , novembre 2007.
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