L’élevage en bataille requiert un certain doigté - et non des moindres, lorsque les grands mâles Douglas, résultats de lentes recherches scientifiques destinées à produire « une dinde royale, peu assurée sur ses tendons, mais lourde et juteuse, parfaitement conforme aux souhaits des consommateurs », se révèlent de piètres reproducteurs. Puisque « l’amour les fatiguait », l’aviculteur doit apporter sa contribution. Il branlera donc les dindons, remplira les pipettes au risque d’une aspiration trop rapide - et fécondera artificiellement les femelles délaissées. Sur cette base réaliste, et autobiographique, Yves Bichet en 1993 utilisait comme une loupe le regard de l’ouvrier Etienne, chargé de la besogne par un patron versatile et irascible, pour offrir une peinture insolite des passions humaines sur fond de scène paysanne contemporaine. Une vision tendue entre La Part animale et ces déchaînements, qui, à la faveur de « la grande vague immobile de l’Ouvert où Rilke avait placé les yeux des chiens ; où lui, Vire-Branle, avait le sentiment d’ouvrir les siens, un à un, sans ciller », efface peu à peu les frontières entre une Humanité en questionnement et l’animalité, côtoyée, exploitée, ingérée - mais qui la gouverne aussi parfois.
En un jeu « étrange et pénétrant », métaphysique et volontairement terre à terre, nourri des Elégies de Duino, balayé par les accents d’un Roger Vailland, les six personnages nous entraînent, ouvrant au divin le vortex de leur sexualité, non plus abîme, mais axe du monde. À lire avant d’aller le voir adapté, avec la contribution de l’auteur, au cinéma.
La Part animale d’Yves Bichet
Folio, 208 pages, 5,60 €
Poches Sacrée branlée !
janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89
| par
Lucie Clair
Un livre
Sacrée branlée !
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°89
, janvier 2008.