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Domaine étranger L’écriture au sommet

février 2008 | Le Matricule des Anges n°90 | par Sophie Deltin

Il faut lire la très belle réédition d’« Ascension », le chef-d’œuvre de l’écrivain suisse de langue allemande Ludwig Hohl (1904-1980), une parabole étincelante sur la quête de perfection.

Ascension

Illustration(s) de Martin tom Dieck
Editions Attila

Pour un néophyte, c’est toujours, semble-t-il, une contrainte démoniaque qui pousse l’alpiniste à aller de l’avant, toujours plus loin, en hauteur, donnant d’ailleurs aussitôt à ce genre d’existence obstinément tendue vers un but imprenable, un tragique inouï. « Ainsi celui qui monte ne s’arrête jamais, allant de commencement en commencement par des commencements qui n’ont pas de fin » écrivait Ludwig Hohl, lui-même alpiniste, dans ses Notes ou de la réconciliation non prématurée (L’Age d’homme, 1981). Dans Ascension, un petit récit tardif, il nous fait pénétrer dans ce paysage héroïque, en escorte de deux alpinistes prêts à gravir une haute montagne au cœur des Alpes. L’air que l’on respire y est aussitôt unique, transparent et vif - un air destiné aux esprits libres, aurait dit Nietzsche que l’écrivain affectionnait tant - mais ce n’est pas seulement l’immensité des monts et la luminosité du ciel, « trop intense pour que l’on parle d’un ciel bleu », qui empoignent le regard. Il y règne surtout un genre de solitude à part, et son écho démultiplié, le silence, qui intensifie les perceptions et aiguise le caractère. Si Ull et Johann sont tous deux des alpinistes aguerris qui ont choisi l’élan, le risque périlleux contre l’engourdissement dans une vie stable et sécurisée - « Pour m’échapper de prison » s’avouera Ull à lui-même durant son escalade -, très vite pourtant une discordance de rythme surgit entre les deux marcheurs. C’est que la montagne requiert une douceur spécifique et se refuse à celui qui, à l’instar de Johann avec son piolet, « procède tout en force, comme s’il voulait (lui) donner des coups ». Le corps, chez Hohl, n’est jamais que le baromètre infaillible des humeurs de l’âme, et qui ne peut plus lâcher du lest, toujours plus libre par ses détachements à l’égard de la vie « d’en bas », ne pourra plus avancer… Comme exercice essentiellement mental, où la fatigue, la peur et le doute doivent céder « sous le dur tranchant de la volonté », la pratique de la montagne a d’ailleurs ceci de commun avec l’écriture, avec les phrases, qu’elle permet de libérer le ciel intérieur de l’esprit mais exige pour cela de maintenir la pensée en mobilité perpétuelle - que l’on s’y tienne en veille et en tension, par-delà les tâtonnements, les reculs et les reprises. Ludwig Hohl qui est resté toute sa vie en marge de la société, a repris l’écriture de ce récit six fois entre 1915 et 1971 avant de se décider à le publier en 1975 (traduit chez Gallimard, Une ascension), sait mieux que quiconque de quoi il en retourne. Une obstination qui ne passa pas inaperçue au moins chez des auteurs comme Max Frisch et Friedrich Dürrenmatt, totalement subjugués par cette voix solitaire et délibérément à part.
L’« ascension » étant le principe générateur de l’activité des deux protagonistes, leur progression dans l’espace est en outre ce qui donne un mouvement cinétique aux descriptions de Hohl. À la fois lent, dépouillé, dense et ancré dans les choses, le style, d’une pureté adamantine, joue sur la saturation de la nomination et de la visualisation dans les mots. « Le massif est altier, synonyme de triomphe aisé, incontestable. La partie supérieure de ses flancs, revêtue de névés et d’une roche grise, lisse, à l’éclat soyeux, évoque un bouclier, une cuirasse, un ouvrage ciselé en finesse dans l’acier ou l’argent. Et ce long bâtiment montagneux tout entier, se détachant sur le ciel clair, pourrait également rappeler un grand navire, qui ne ferait pas seulement route dans l’océan des terres, mais dans l’éternité »… Ce sont encore des mots, pures concrétions de réel, que l’écrivain taille sur les parois ardues du langage lorsqu’il décrit avec une minutie incroyable, au millimètre près pour ainsi dire, la subtile et méthodique désarticulation du corps, les efforts colossaux pour maintenir l’équilibre de son poids et réussir de bonnes « prises » au-dessus de l’abîme béante… À travers cette maîtrise aiguë du détail, c’est une forme de sublime qui est proprement atteinte - qui plus est, servie dans une nouvelle édition aussi impeccable que le texte, notamment grâce aux dessins en noir et blanc de Martin Tom Dieck dont la découpe du trait pousse à un extrême glaçant le chaos de lignes brisées, d’arêtes, d’escarpes et de gouffres qui plante le décor de la haute montagne. Dans ce milieu fascinant, la lutte, le corps à corps de l’homme avec « l’arbitraire » des éléments de la nature est parfois inaudible, comme amorti, parfois plus discernable. Ainsi, à lire certains passages, l’on imagine bien le battement précipité du sang (de l’alpiniste et de l’écrivain) quand il est soumis à trop rude épreuve - cette formidable pression de l’air raréfié qui à coups de martèlements dans la poitrine va bientôt pousser Johann à renoncer et à faire demi-tour. Après l’abandon de son coéquipier, Ull dans sa tentative « presque folle » d’affronter seul le glacier, s’oriente définitivement vers la grandeur tragique de l’absurde. D’autant plus que la rage, l’orgueil exaspéré d’atteindre coûte que coûte la cime du glacier, fait place à sa douceur initiale…
Fondé sur l’antithèse et le renversement, le splendide récit de Ludwig Hohl est celui d’une exigence infinie de sens, d’une quête placée sous le signe de l’impossible. À proportion exacte de ce rapport nécessaire à l’impossible que Ludwig Hohl a mené sans relâche avec les mots, il est celui d’un combat pour une vérité que seule la mort, qu’elle soit inéluctable ou absurde, peut résoudre.

Ascension
Ludwig Hohl
Traduit de l’allemand par Luc de Goustine
Attila
192 pages, 15

L’écriture au sommet Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°90 , février 2008.
LMDA papier n°90
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