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Égarés, oubliés Le bohème rayonnant

février 2008 | Le Matricule des Anges n°90 | par Éric Dussert

On peut être bohème et suisse à la fois. Étienne Eggis (1830-1867) en fit la démonstration. Avant que sa vie déréglée de poète noctambule ne le tue….

Avec ses faux airs d’André Suarès et son nez à la retroussette, Étienne Eggis a été classé parmi les « romantiques tardifs ». La vie pourtant ne lui laissa pas le temps de mûrir même si, à l’aide d’une poignée de volumes rayonnants, il entra dans la fratrie des grands bohèmes du XIXe siècle. Et puisque Henry Murger (Scènes de la vie de bohème) et Firmin Maillard (Les Derniers Bohèmes) l’oublièrent au cours de leurs tours d’horizon, c’est à son compatriote Philippe Godet (1850-1922) que l’on doit de pouvoir le lire aujourd’hui. En faisant de ses vers un volume de Poèmes (Fribourg-Paris, Berthoud-Fischbacher), ce Godet permit de découvrir un oublié fameux, marginal et curieux, décrit par ses contemporains comme un poète excentrique, comme un musicien myope et comme un noctambule enragé.
Petit-neveu de Senancour (le fameux auteur d’Obermann), citoyen suisse et fils d’un maître de chapelle, Étienne Eggis est né le 25 octobre 1830 à Fribourg. Élevé à la méthode jésuite avant de se transporter en Allemagne, il occupa d’abord un poste de précepteur chez un prince un peu raide. Une expérience qui le poussa dans le giron des républicains et sur les bancs de la fac de droit de Munich d’où il comptait initier une carrière politique. La lubie dura peu. Lancé dans la vie comme une balle, ce jeune effervescent se lassa des amphis et reconnut dans la poésie son art et son destin. « En cousant une rime aux deux coins d’une idée,/ Je m’en allais, rêveur, le bâton à la main. »
Après avoir trimardé durant des mois en Allemagne, Eggis s’installa à Paris en 1850. Fasciné par les lumières de la ville, il se jeta aisément dans la vie parisienne nocturne, ses cabarets et ses cénacles. Son appétence était remarquable… elle fut remarquée. Reconnu pour la qualité de ses écrits brillants par Jules Janin, soutenu ensuite par Arsène Houssaye qui lui ouvrit les portes de L’Artiste, malgré qu’il le reconnut d’humeur fort lunatique, Étienne Eggis vécut d’expédients à l’instar de tous les pousse-copie de toutes les époques, jetant ci et là ses contes, ses articles et ses vers, au jour le jour. Une vie plaisante sans doute, pauvre à coup sûr, composée de soirées et de « jours splendides comme une nuit javanaise ». Une existence épuisante et ruineuse que seules les ressources d’un père arrangeant et d’un ami pouvaient permettre.
Dans son indispensable Lorgnette littéraire, le bienfaisant Charles Monselet aura ce mot pour Eggis : « » Mon grand-père était un roi Bohémien qui s’appelait Voluspar « a écrit M. Étienne Eggis ; nous ajouterons à ce renseignement biographique les titres de deux volumes de vers publiés par le petit-fils de Voluspar : En causant avec la Lune et Voyage au pays du cœur. C’est de la poésie excessive et ensoleillée, mais enfin c’est de la poésie. » Monselet savait-il si bien dire ?
Publié d’emblée par Michel Lévy, le grand éditeur de la génération romantique, le premier recueil d’Eggis toucha les cœurs En causant avec la lune (1851). L’auteur était sympathique, sa plume leste et douce comme en témoigne son Voyage au pays du cœur (1853), ou bien alerte et goguenarde telle qu’elle se déguste dans le Voyage aux Champs-Elysées (1854) où il établit un superbe panorama des célébrités artistiques de son temps.
Une fois encore, l’aventure dura peu, faute de phynances sans doute. Lorsqu’il quitta Paris pour Fribourg en 1859 - les ors familiaux y étaient d’un accès plus simple -, Eggis s’ennuya. Il trouva à s’occuper néanmoins en collaborant très activement au Journal de Fribourg. Par contre, sa santé déjà chancelante ne résista pas à une dipsomanie désormais profonde. Plus désordonnées que jamais, les heures du poète lui offrirent de publier encore Les Schnapseurs, Fantaisie d’un soir d’hiver, suivi d’une pièce de vers inédite (1862) et un Chant pour l’ouverture du Chemin de fer (1862) dont, faute de l’avoir pu lire, on devine les sourires. Plus aucun volume ne paraîtra ensuite, et il faudra attendre 1994 pour assister à la découverte de l’inédit Pierre Moehr, ou La Vie d’un ouvrier fribourgeois à l’époque du Sunderbund (Fribourg, La Saline).
Au bout du rouleau, tout à fait dominé par l’alcool, Étienne Eggis reprit encore son sac en 1863 et se rencogna en Allemagne où sa situation et sa misère ne purent que s’aggraver. Atteint par la tuberculose, il s’éteignit à Berlin le 13 février 1867 - six mois avant qu’André Suarès ne voie le jour. « Nul ne saura ma mort que l’orage et la nue ;/ L’océan pèsera sur ma tombe inconnue ;/ Je pourrai m’enivrer tout à loisir,/ Et mon tombeau sera grand comme mon désir. »
Il faut parier désormais que les curiosités rendront leur lustre et leur intérêt aux vers de cet homme, marginal d’essence, affectueux, rêveur et doux, pitre aussi sans doute, qui fut, on l’imagine explorant ses « Impressions d’ivresse d’un poète allemand », le meilleur des compagnons de comptoir : « Hourrah !/ Mes tempes ruissellent,/ Mes yeux étincellent,/ Mes jambes chancellent.// Hourrah !/ L’ivresse s’augmente,/ La bière écumante/ Dans les brocs fermente.// Hourrah ! Près de moi tout roule,/ Et le vent enroule/ Le plafond qui croule./ Hourrah ! Hourrah ! Hourrah !/ A boire ! à boire ! à boire ! Verse à boire, Satan, verse, verse toujours ! (…) Penché sur un nuage où dort la nuit profonde,/ J’assiste au dénoûment de la farce du monde. » Comme un rude cosaque, Étienne Eggis a mené train d’enfer.

Le bohème rayonnant Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°90 , février 2008.
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