Les Insomniaques (suivi de) Copito ou Les derniers mots de Flocon de Neige, le singe blanc du zoo de Barcelone

Juan Mayorga est né en 1965 à Madrid. Diplômé en philosophie et en mathématiques, il enseigne depuis 1998 la dramaturgie et la philosophie à l’Ecole supérieure d’art dramatique de Madrid. Son œuvre compte d’ores et déjà une trentaine de pièces. Les Solitaires intempestifs ont publié en 2006 et 2007 une traduction de Himmelweg et Hamelin. Ce troisième livre poursuit la découverte d’un auteur très brillant et singulier, qui met en jeu le théâtre comme un révélateur de nos mensonges et de notre violence.
Dans Les Insomniaques, Juan Mayorga fait se débattre quatre personnages : deux couples, Homme petit, Femme petite, Homme grand, Femme grande. La pièce démarre par une invitation d’Homme petit à Homme grand à trinquer ensemble. Homme petit lève son verre à la « loi Trois cinq sept quatre », une loi sur l’immigration. Il dit avoir la certitude qu’Homme grand est sans papiers et que, du coup, grâce à cette loi, il le tient à sa merci. « Je vous demanderai, un jour, de me faire un bout de conversation ; le lendemain de m’accompagner en promenade. Rien de laid, rien d’humiliant. Vous me lirez un poème, vous me raconterez une blague… Rien d’humiliant. S’il m’arrive de vous demander une chose désagréable, susceptible de vous mettre mal à l’aise, ce ne sera pas pour vous offenser ; seulement pour vérifier votre disponibilité. » D’emblée donc, un homme prend le pouvoir sur un autre, par le biais du chantage. La pièce se poursuit, les actes du quotidien continuent à se produire presque comme si de rien n’était. Homme petit exige d’Homme grand des rencontres qui pourraient ressembler à de la camaraderie, aller au zoo par exemple. Mais la violence est présente, à chaque instant. Cette lecture provoque d’ailleurs un étrange sentiment, du calme juste avant une tempête. Juan Mayorga décrit le quotidien et le décale radicalement, comme pour nous obliger à le regarder autrement. Le rapport dominant-dominé, maître-esclave est mis à nu, dans le couple comme dans la vie sociale. Au final, le rêve d’Homme petit c’est d’arriver à mettre des mots sur sa vie. Il instrumentalise Homme grand pour qu’il écrive son journal à sa place. Juan Mayorga redonne aux mots toute leur puissance, tout leur pouvoir, d’oppression comme de libération… Homme grand démarre le journal d’un autre ainsi : « Tremblement devant le premier mot. Dans quelques années, tous ceux consignés dans ce journal me rendront le secret de l’instant, son sens le plus profond. »
Le pouvoir des mots est encore plus au cœur de la deuxième pièce Copito, des mots comme révélateurs de mensonges. Nous sommes dans une farce qui nous renvoie un reflet à peine déformé de nous-mêmes. Trois protagonistes dans cette pièce, deux singes, un blanc et un noir, et leur gardien. Le singe blanc a un statut de nouveau pape, le singe noir est le métèque de service, permettant de mieux mesurer la domination du blanc. Copito, plus populaire sous son nom de Flocon de Neige est en train de mourir. Face à la mort, la parole est forcément précieuse. Quels sont les derniers mots que l’on peut dire au monde ? Copito nous livre, suite à ses nombreuses lectures, les treize raisons de ne pas avoir peur de mourir. Pour finir par cracher une vérité, soigneusement cachée tout au long de son existence, citant Montaigne : « Le dernier jour est jour de vérité. La comédie s’achève et commence la vérité. L’acteur enlève son masque, reste l’homme. »
L’exigence du théâtre de Juan Mayorga pourrait ressembler à une philosophie de vie : vivre chaque jour comme si ce devait être le dernier. Rien d’étonnant donc à ce qu’il nous touche au plus profond de l’âme.
Les
Insomniaques
(suivi de)
Copito
Ou les derniers mots de Flocon de Neige, le singe blanc du zoo de Barcelone
Juan Mayorga
Texte français
de Yves Lebeau
Les Solitaires
intempestifs
112 pages, 12 €