La première phrase d’un livre, on le sait, est souvent révélatrice de l’esprit qui l’habite. L’amorce de ce livre-ci est houleuse. Sur trois pages se déroule une longue phrase, comme roule une vague jusqu’au rivage avant de s’en retourner ensuite vers le large. Ce rivage, ce pourrait être celui d’une plage de Biarritz, celle, par exemple, que le narrateur observe de loin, de la terrasse du casino Bellevue. Il est fébrile, cet homme.
Il attend l’ouverture d’un procès qui n’est pas le sien mais qui aurait pu l’être.
L’histoire racontée par Alain Spiess (né en 1940), dont c’est le sixième roman, est donc celle d’un crime, le crime de cet homme-là, le narrateur, qui n’est pas sans faire penser au Mersault de L’Etranger. Ce récit ressemble à une déposition qui prendrait le lecteur à témoin. Organisé en spirale, en allers et retours, en détours aussi, tout en reprises et répétitions, ce roman est à l’image du narrateur qui se passe et repasse le film des événements. Sans être polyphonique, l’écriture de Spiess enchevêtre les unes aux autres, les voix de tous ceux qui, de près ou de loin, sont liés à cette affaire, au premier rang desquels Bergaud. C’est lui qui est au centre du procès ; c’est par lui que le narrateur a fait la connaissance de celle dont « l’image du corps inerte sur le canapé rouge » l’obsède, la dénommée Zelda. Sans qu’on s’attache jamais à ce personnage un peu fuyant, difficilement cernable, on l’écoute reconstituer le puzzle de cette journée d’avril, confuse et sournoisement meurtrière. De la terrasse du casino Bellevue, à Biarritz, il se souvient, observant le flux et le reflux de la mer, mouvement qui jamais ne cesse. Comme sa culpabilité inavouée à lui, cette sorte de roulis qui remue l’âme.
Reniement. Histoire d’un crime d’Alain Spiess L’Arpenteur, 150 pages, 12,90 €
Domaine français Crime sans châtiment
mai 2008 | Le Matricule des Anges n°93
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Crime sans châtiment
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°93
, mai 2008.