La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Rêverie lexicale

juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94 | par Thierry Guichard

À partir d’une rêverie sur la nature de quelques mots, Alain Roussel ouvre sa poétique à un questionnement métaphysique et léger.

La Vie privée des mots

On entre dans ce livre comme dans une fantaisie poétique et ludique autour des mots. On en ressort avec une centaine de romans potentiels de la langue, des pistes défrichées pour la pensée, un matériau inépuisable à la rêverie. C’est dire que, mine de rien, Alain Roussel nous entraîne plus loin qu’on ne s’y attendait avec cette idée de collectionner des mots simples et de leur faire dire ce qu’ils cachent, ce qu’ils initient comme fiction, les rapports qu’ils entretiennent les uns aux autres. Le tout sans prétendre à l’essai : au contraire, c’est presque sous la forme d’une confession joueuse que le livre s’ouvre. Au rendez-vous lexical que le poète propose, on passe forcément par les jeux de mots, les glissements d’une « cabale phonétique » à la façon de Ghérasim Luca auquel il est rendu hommage : « Quel beau, quelle fée, quel beau fessier a cette belle fée, j’en suis scié ! » Ledit postérieur est celui de Lise, née, avec Anna et Freud du mot « psychanalyse » : ces trois-là nous accompagneront tout au long des rêveries du collectionneur.
On se dit, alors, que le jeu est un peu futile, qu’il indique ces dimanches d’ennui où la page blanche accueille les lettres sans idée de récit. Cependant, les vocables ainsi épinglés conduisent à d’étranges découvertes. Ainsi, cette phrase qu’on croirait signée d’Alexandre Vialatte : « Le chameau apporte au désert, dont il est inséparable, une touche, si j’ose dire, d’humanité » qui se prolonge plus loin en « Le chameau se fait chameau pour plaire au désert. » Les mots, posés sur la page, ouvrent ainsi autant de fictions ou d’images comme venues du néant. Venues de la langue et du rapport qu’elle entretient avec le monde. Allant jusqu’à prêter une vie (et une sexualité) aux lettres de l’alphabet, Alain Roussel insuffle peu à peu à son texte une dimension plus métaphysique. Cela passe d’abord par le désir d’une parfaite adéquation entre le monde et les mots (comme Hugo, cité par l’auteur, qui voyait en chaque chose une majuscule de l’alphabet) : « J’aime mieux le mot soir que le mot crépuscule. Dans « soir », la nuit se pose sur les choses avec une douceur de soie. » Cette façon d’ouvrir des images à partir des vocables désigne le lieu même de la poésie dans laquelle l’auteur s’inscrit. Le signe étant forcément arbitraire et aux mots ne correspondant pas exactement le monde, Alain Roussel imagine qu’une lettre, la 27e de notre alphabet, aurait disparu.
Le fait qu’elle manque à l’appel, expliquerait que certaines expériences restent proprement innommables : les mots pour les dire sont ceux, précisément, qui avaient besoin de cette lettre disparue pour s’écrire. De cette absence originelle, il était facile alors d’ouvrir un peu plus la rêverie vers la métaphysique. D’autant qu’Alain Roussel est un grand lecteur des soufis, des mystiques, de Maître Eckhart à Silesius en passant par Cordovero. Mais il a lu également Grasset d’Orcet, Raymond Roussel ou Jean-Pierre Brisset. Il cite même « le plus important alchimiste du XXe siècle », Fulcanelli, à propos de l’origine de la langue des oiseaux. Le livre a beau être court : depuis la découverte du beau fessier de Lise, le lecteur a fait un sacré voyage.
Si « l’homme est condamné à dire maladroitement le monde. Mais même mal dit, il le dit, et il est bien le seul, parmi toutes les créatures, à pouvoir le dire », le constat au final n’est pas si triste : si aux mots coïncidaient les choses « la signification serait en quelque sorte figée par l’évidence de la désignation. C’est le signifiant, dans son rapport au signifié, qui apporte l’indispensable mobilité du sens et ouvre indéfiniment l’espace de la connaissance. » Et c’est ainsi que la poésie est indispensable. Et qu’Alain Roussel, sans esbroufe, vient d’en faire la démonstration.

La Vie privée
des mots

Alain Roussel
La Différence
95 pages, 10

Rêverie lexicale Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°94 , juin 2008.
LMDA papier n°94
6,50 
LMDA PDF n°94
4,00