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Poches La mémoire barrée

juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94 | par Thierry Cecille

Roman d’apprentissage et confession psychanalytique, le monument d’Henry Roth, autobiographie masquée et foisonnante, revient nous hanter.

A la merci d’un courant violent Vol.1, A la merci d’un courant violent

A la merci d’un courant violent Vol.2, Un rocher sur l’Hudson

New York, Irish Harlem, 1914 : nous faisons la connaissance d’Ira Stigman, juif âgé de 8 ans, né en Galicie. Durant des centaines de pages, nous l’accompagnerons, d’anecdotes en choses vues, nous le verrons grandir, affronter les adolescents Irlandais bagarreurs et injurieux, vivre ses premières amitiés, supporter l’ennui des cours dans des écoles médiocres, accumuler les petits boulots qui lui permettront de glaner quelques dollars, tenter de tirer au clair ce que c’est qu’être juif. L’affection de sa mère, figure à la fois sacrificielle et pourtant comique, vient contrebalancer, avec difficulté, l’aversion, le mépris et les coups que son père lui inflige. Va-t-il donc toujours demeurer, comme son père ne cesse de lui répéter, un shlimazl, un canard boiteux, ou, pire encore, un shlemil, un bon à rien, un raté, un souffre-douleur du destin ? Ce monde bigarré et âpre, délimité et pourtant surpeuplé, entre l’East Side et le Bronx, est celui des juifs modestes et besogneux qui ont fui l’Europe devenue inhospitalière, il nous est décrit ici avec tendresse et perspicacité, c’est bien Le Monde de nos pères, tel que le raconte Irving Howe (Michalon), très semblable à celui que nous dépeint également Sergio Leone dans son film-testament Il était une fois en Amérique
Très vite, cependant, ce récit d’une enfance, qui pourrait sembler traditionnel (les « sagas familiales » qu’il avoue détester !), prend une autre dimension : en un savant dispositif d’échos, nous découvrons Ira Stigman, soixante ans plus tard, écrivant l’œuvre que nous sommes en train de lire, et dialoguant à son propos avec son ordinateur, confident et juge, conscience active et sévère, œil de Dieu surveillant Caïn, mystérieusement et judicieusement appelé Ecclesias. C’est que le parcours d’Henry Roth est surprenant : il écrit en 1934 (à 28 ans donc) un unique roman, d’inspiration autobiographique, Call It Sleep (L’Or de la terre promise, Grasset) qui, dans les affres de la Grande Dépression, passe inaperçu - puis il se tait. À l’occasion de sa réédition, en des temps plus favorables, en 1964, ce roman rencontre un succès surprenant - et il semble que peu à peu Roth reprenne force et courage. À la fin des années 70, il se lance donc dans cette entreprise disproportionnée : sous le titre global À la merci d’un courant violent, quatre volumes paraîtront à partir de 1994, deux mille pages d’une autobiographie distordue, à double fond, dont les dernières lignes seront écrites aux abords de la mort.
C’est donc, en ces années ultimes, un vieillard physiquement faible, réellement malade, qui créé cette œuvre monumentale, se confrontant à une mémoire-palimpseste, au regret de n’avoir pas raconté plus tôt, quand les souvenirs étaient plus vifs - mais c’est en vérité un vieillard prodige, prodigue de phrases éclatantes de verve et de précision, qui ressuscite personnages et scènes, décors et émotions, en de véritables épiphanies - Joyce est la figure à la fois tutélaire et haïe qui, autre ange gardien, veille sur ces pages. Il parvient même, au terme de souffrances morales qui durent l’oppresser durant toute son existence, et après six cents pages de détours, à dire l’indicible : la passion incestueuse pour sa sœur Minnie - dont l’existence même, jusque-là, avait été dissimulée, niée. « L’étau, la vis, le vice, les mâchoires du désir fou et du remords qui le rongeait » n’ont pas empêché l’écriture, au contraire, c’est de cette tension, sans doute, que lui vient l’énergie farouche qui le confronte au clavier de l’ordinateur. « Interpénétration, perpétration, perpétuation, perdition », c’est tout cela qu’il faut affronter, ce « courant violent » qui l’a « emporté » mais ne l’a pas « englouti ». C’est en cela que consiste toute l’aventure, le voyage à rebours : traquer « l’ambivalence du vrai ».

Henry Roth
À la merci
d’un courant
violent

et Un rocher
sur l’Hudson

Traduits de l’anglais par Michel Lederer
Points Signatures
411 et 558 pages, 11,50 et 13,50

La mémoire barrée Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°94 , juin 2008.
LMDA papier n°94
6,50 
LMDA PDF n°94
4,00