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Poésie You talking to me…

juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94 | par Emmanuel Laugier

Fondateur d’une poésie orale, l’Américain David Antin livre un concentré de dialogues inspirés et expirés en forme de « talk-poems ».

Je n’ai jamais su quelle heure il était

David Antin est considéré aux États-Unis comme l’une des voix les plus singulières, après le passage vivifiant de la Beat generation et la vague « objectiviste » du collège du Black Mountain. C’est dans les années 70 qu’il imagine les « talk pieces », aussi appelés « talk poems », qui ne sont rien d’autres que la retranscription de conférences qu’il donne d’abord comme professeur d’un enseignement sur l’art à l’université de Pomona (Californie). Bien sûr, ces exposés ressemblent davantage à des palabres qu’à des lectures de textes savamment rédigés. David Antin arrive donc devant son auditoire avec sa seule mémoire, et ce qu’il questionne, touche aux logiques de la création, au temps passé à les comprendre, à l’époque dans laquelle elles se rendent possibles, etc. Un petit magnétophone l’accompagne. Le second moment, destiné à la retranscription de ces conférences, consiste à respecter les suspensions respiratoires de la prise de parole par des blancs inclus dans le texte lui-même, toutes les majuscules, y compris celles des noms propres, étant éliminées. Le lecteur se trouve donc face à des proses trouées de blancs, qui dessinent des cartographies de mémoires. David Antin avertit page 86 : « jamais en tant qu’artiste je ne me suis senti déterminé au point d’avoir l’impression de regarder au bout d’une piste un tas d’idées avec la volonté de les renverser j’ai eu parfois l’impression que les idées allaient dans toutes les directions et que certaines d’entre elles venaient vers moi et j’étais tenté d’y mettre le pied pour voir ce qui arriverait… »
La tradition d’une oralisation recueillie en livre est d’abord américaine. Elle s’inscrit dans le moment de construction politique et la grande idée démocratique de l’Amérique, telles que Whitman ou Emerson, voire plus tard William Carlos Williams, les entendaient battre au creux du langage poétique. En « Amérique, explique le traducteur Jacques Darras, la parole est militante. (…) La poésie pour David Antin est donc liée à la fonction communautaire de la langue, est cette fonction même dans la conscience qu’elle prend d’elle-même dans le temps qu’elle s’exerce ». David Antin est peut-être le dernier à faire d’elle le lieu quotidien, ordinaire et sans sublime, d’une telle possibilité de dialogue. En ce sens, il est plus proche des premiers temps homériques que de Mallarmé. Le temps d’approche du poème, ses interrogations, ses doutes, ses détours, ressemblent aussi à ceux qu’utilise Socrate chez Platon. Un problème est posé, est évoqué l’air de rien, pour arriver petit à petit à cerner l’enjeu du problème lui-même. Chez Antin, les nœuds du questionnement passent par exemple par le souvenir d’une traduction du Bruit du temps du poète russe Mandelstam, des choix opérés pour rendre en anglais la densité de ce que recouvrent ces deux mots en russe. De là, il évoquera autant la traduction qu’en fit Nabokov que, plus tard, les rapports que son propre fils entretient avec son grand-père maternel : quel bruit du temps, semble-t-il dire, passe, s’entend, entre ces deux êtres séparés de plus de quarante ans ? À la gravité (la mort d’une personne chère) se superpose sous la légèreté du propos, l’idée d’une vérité que, à la fin, nous devons à nous-même.
Là est le tournant peut-être foncièrement américain de cette poésie : elle lie toujours le travail du langage à la vie, formant si ce n’est, selon le mot de Jean-Claude Pinson, une sorte de « poétariat », une poétocratie où « la parole, dit Antin, construit comme le raisonnement scientifique, son objet », celui, parions-le, d’une forme d’habitation incarnée de l’existence face au magasin du monde, c’est-à-dire une forme de résistance face au bavardage infinie de la communication.

Je n’ai jamais
su quelle
heure il était

David Antin
Traduit
de l’américain
par Pascal Poyet
Éditions
Héros-Limite
200 pages, 20

You talking to me… Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°94 , juin 2008.
LMDA papier n°94
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