Du luxe et de l’impuissance : roman et autres textes
Fondateur dès 1977 du Théâtre de la Roulotte, Jean-Luc Lagarce a créé par la suite bon nombre de spectacles et mis en scène plusieurs de ses pièces au Théâtre Granit de Belfort, au début des années 1990. Les Solitaires intempestifs ont rassemblé dans un recueil les textes, articles et éditoriaux, écrits par l’auteur le plus joué en France après Shakespeare et Molière pour ces deux scènes avec lesquelles il a entretenu durant sa brève carrière un rapport particulièrement étroit, ainsi que pour des revues auxquelles il a collaboré. « J’écris (…) mon Journal sur des cahiers d’écolier, à petits carreaux, de cent quatre-vingt-douze pages ». Dans l’un des textes, Lagarce raconte l’acte d’écrire avec une grande humilité qui s’attache, loin du portrait doré de l’écrivain studieux, aux objets les plus triviaux et les plus simples qui constituent l’environnement immédiat de l’auteur. Autoportrait de l’artiste approfondi ailleurs. Dans « Du luxe et de l’impuissance », notamment, où se manifeste un rapport au monde marqué par le doute qui doit trouver une tentative de guérison dans l’écriture, exacte et intransigeante : « Raconter le Monde, ma part misérable et infime du Monde, la part qui me revient, l’écrire et la mettre en scène, en construire à peine, une fois encore, l’éclair, la dureté, en dire avec lucidité l’évidence. »
Mais Jean-Luc Lagarce n’en demeure pas au degré de la seule conscience individuelle : « une société qui renonce à sa part d’imprévu, à sa marge, à ses atermoiements, à ses hésitations (…) cette société-là est une société qui se contente d’elle-même, qui se livre tout entière à la contemplation morbide et orgueilleuse de sa propre image », affirme un texte intitulé par l’éditeur « Nous devons préserver les lieux de la création ». Récusant l’appel du miroir et le charme dangereux de la rétrospection, la langue de Lagarce est tendue vers le geste, vers la profération présente et collective. Cernant l’intime au plus près, elle dessine dans ces fragments une conception du théâtre sans concession et portée par un élan vital.
Car quoique de nature et de tonalités différentes, tous ces textes sont marqués par l’urgence éthique qui conduit la parole à être lancée en toute vérité et pudeur, qui incite l’existence à se faire chair, et l’homme, à « s’avancer dans la lumière ». Les textes de Lagarce, avec leurs infinitifs réitérés, qui sont autant d’impératifs soudain investis d’une urgence existentielle, disent « ce refus de l’inquiétude », la nécessité d’un rapport renouvelé à autrui, l’illusion de « la vérité sur soi », ou encore un monde libéré des masques. De n’être pas soumis aux obligations de la fiction et de la scène, ces textes briguent chacun à leur manière le rôle de manifestes en même temps qu’ils dessinent un portrait : manifestes de théâtre, mais également manifestes de vie.
Du luxe et de l’impuissance
Jean-Luc Lagarce
Les Solitaires
intempestifs
64 pages, 9 €