La première fois, c’était dans un bar, au début des années 80 à l’heure du goûter. Je devais faire avec lui un scénario pour un cadreur qui voulait passer à la réalisation. J’étais un jeune écrivain, cette rencontre m’impressionnait. J’avais peur de décevoir Patrick, il était très connu je l’admirais. On s’est mis à boire de la bière, je n’aime pas, mais je ne voulais pas me faire remarquer. Patrick m’a dit qu’il avait racheté à une production de films pornos un costume de mac. C’est lui Patrick qui avait écrit le rôle et le film. Dans le costume du mac il y avait un étui pénien, il mettait le costume et l’étui le dimanche. Je ne savais pas trop quoi penser. Vrai, pas vrai ?
Patrick m’a demandé d’où je venais, je lui ai dit du débarras, du débarras de caves, c’était mon métier avant. Il a eu l’air d’apprécier. Là-dessus le cadreur a dit à Patrick qu’il était une tapette. Je ne sais plus ce que Patrick lui a répondu, mais rapidement ils se sont reproché plein de trucs, c’est devenu une dispute. Les joueurs de cartes nous regardaient, les demis se succédaient, Patrick et le cadreur s’insultaient, moi je me disais : « Voilà je suis grillé ! Jamais Manchette ne me pardonnera ça. » Alors je me soûlais en silence (on a bu pour 450 francs de bière = 45 demis à cette époque). Finalement Patrick s’est levé et a tordu les couilles du cadreur qui lui a flanqué un coup de bouteille sur la tête et m’a dit de ramener cette loque chez lui. Il m’a donné l’adresse l’étage, il s’est barré dans sa Porsche. J’ai pris le cartable de Patrick et je l’ai ramené comme j’ai pu. Je crois me souvenir qu’il habitait au cinquième. J’ai sonné. Sa femme, Mélissa, a ouvert et m’a fait une observation désagréable. Je suis parti, persuadé que c’était fichu, Manchette allait me casser, me démolir.
C’a été le début d’une histoire très singulière entre lui et moi. On s’est téléphoné des dizaines d’heures, mais je ne l’ai vu qu’une seule autre fois, il était pieds nus et mangeait des paupiettes avec des petits pois.
Pour en revenir au scénario qu’on devait faire ensemble, Manchette m’a téléphoné quelques jours après cette cuite et m’a dit que j’avais qu’à le faire tout seul. Il m’a fait parvenir son synopsis retenu par la productrice amante du cadreur, je l’ai lu et j’ai été bien embêté. J’ai téléphoné à Patrick et je lui ai dit qu’il y avait dans ce synopsis des pages entières piquées au roman de Norman Mailer Les Nus et les Morts. Patrick s’est mis à rire et m’a dit que j’étais intelligent et que je lisais, pas les autres (les autres c’était évidemment les gens de cinéma).
Patrick me téléphonait souvent la nuit, assez tard, il me disait : « Tous les deux on va prendre Cuba, on va foutre Castro à la porte. On va débarquer, juste toi et moi. »
Ou il se moquait des jeunes loups du roman noir, il trouvait qu’ils écrivaient vraiment mal et qu’ils étaient intrigants et bêtes.
Il m’a abonné à L’encyclopédie des nuisances (en quelque sorte véhicule...
Dossier
Jean-Patrick Manchette
“ On va prendre Cuba “
juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95
| par
Richard Morgiève
Un auteur
Un dossier