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Zoom Vers l’eau de là

juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95 | par Jean Laurenti

Un homme vieillissant remonte la rive d’un fleuve pour retrouver un ami d’enfance. Dario Franceschini fait de ce lent cheminement l’occasion d’une méditation profonde et poignante sur le sens de l’existence.

Dans les veines ce fleuve d’argent

Parfois les livres nous donnent à connaître des personnages dont on a la certitude (cette certitude fragile des rêves) de les avoir déjà rencontrés. On n’est pas toujours à même de dire si on les a côtoyés dans la vie réelle ou bien entre les pages d’un volume fréquenté autrefois. Il se peut que la vérité soit entre les deux, c’est-à-dire à peu près nulle part : le commerce des livres finit par se confondre avec celui des êtres de chair et de sang (quand il ne s’y substitue pas) et le lecteur insatiable se retrouve, avec le temps, aux prises avec une humanité pléthorique dont le visage changeant le ramène souvent à cet Autre dont il voudrait ne s’être jamais éloigné. Primo Bottardi, le personnage central de Dans les veines ce fleuve d’argent, suscite constamment ce sentiment de proximité. Sa naïveté lui donne un supplément d’âme dont le lecteur cherche à saisir quelques lambeaux, porté par cet attrait pour le savoir des pauvres en esprit.
Primo Bottardi est un homme mûr que les grands effrois de l’enfance font toujours trembler. Il ressemble à un vieil oncle silencieux et songeur au bout d’une table bruyante de convives. Celui qu’on oublie jusqu’à ce qu’il prenne la parole pour proférer quelque sentence inattendue avec un sourire un peu gêné. Il a quelque chose du Plume d’Henri Michaux, et aussi du manœuvre Marcovaldo ou du marcheur étonné Palomar, deux figures de l’œuvre d’Italo Calvino. On pourrait aussi lui trouver un cousinage avec le Cidrolin de Queneau ou, pourquoi pas, avec quelque vagabond céleste des contes de Tchouang Tseu. On pourrait étendre cette généalogie à d’autres personnages et tenter d’expliquer comment l’innocence de Primo Bottardi permet de saisir un peu de la vérité du monde.
Dans les veines ce fleuve d’argent est le premier roman de Dario Franceschini, écrivain italien né à Ferrare en 1958. Publié en Italie en 2006, il est l’œuvre d’un homme entré tardivement en littérature. Ancien membre des jeunes Démocrates chrétiens, Franceschini a longuement œuvré pour ancrer son mouvement dans le fameux centre-gauche italien devenu Parti démocrate (au sein duquel il occupe toujours d’importantes fonctions nationales), dont le dernier fait de gloire est la cuisante défaite aux élections législatives face à Berlusconi et ses affidés. La connaissance de l’action politique de Franceschini est de peu d’utilité pour aborder ce premier livre. C’est plutôt du côté de l’humanisme chrétien qu’il faudrait chercher, alors autant dire qu’on n’ira pas : Dario Franceschini nous donne à lire un roman dont l’indéniable dimension littéraire n’a nul besoin de cette sorte d’élucidation. Il nous propose d’accompagner la geste tranquille d’un homme ordinaire.
Primo Bottardi éprouve subitement l’urgence de retrouver Massimo Civolani, un ami qu’il n’a pas revu depuis des décennies. Dans un passé lointain, ils ont été les élèves du même instituteur. Une nuit, à sa femme qui s’étonne de le voir debout dans l’obscurité, Primo annonce l’imminence de son départ : « Je dois le retrouver. Un matin à l’école, avant de partir, il m’a posé une question à laquelle je n’ai jamais répondu. » C’est cette réponse - que le lecteur ne découvrira que dans les toutes dernières lignes, tout comme d’ailleurs la question - qu’il est désormais en mesure de lui apporter. Commence alors un parcours d’une lenteur hypnotique vers l’amont du Pô, ce « fleuve d’argent » qui est, avec le brouillard et « capoccia » - l’esturgeon, monstre aquatique d’une saisissante humanité -, l’un des protagonistes centraux du récit. Un récit dont rencontres et digressions vont sans cesse retarder le dénouement. Dans cet itinéraire allégorique vers la source du fleuve Primo est désormais en mesure de voir et d’entendre le sens profond des choses. Dario Franceschini recourt à un style des plus épuré pour fabriquer ce conte intemporel dont les paraboles semblent tissées dans la trame même du quotidien des villageois à la vie rythmée par l’écoulement du fleuve. Femme à la beauté fanée, tenue en éveil par une lumineuse douleur d’amour ; vieux magicien de foire inconsolable et digne ; cheval épuisé trop longtemps éloigné du fleuve et qui désormais « ne pense qu’à mourir dans son eau » ; homme marié depuis cinquante ans au souvenir d’une jeune fille trop belle ; chagrin d’une petite fille qui réveille un souvenir d’enfance de Primo et le fait « sombrer dans cette obscurité sans rivages des douleurs enfantines »
La montée s’effectue ainsi, rythmée par des rencontres, des visages entrevus, des mots simples échangés. Une sagesse poignante se donne à connaître dans le dévoilement sans cesse différé d’une vérité dont on attend peut-être vainement l’énoncé. Ceux qui vivent dans son intimité le savent bien : « Il ne peut pas y avoir de secret sur le fleuve. L’eau ramène toujours à la surface même les plus lourds. »

Dans les veines ce fleuve
d’argent

Dario Franceschini
Traduit de l’italien
par Chantal Moiroud
L’Arpenteur
152 pages, 13

Vers l’eau de là Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°95 , juillet 2008.
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