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Choses vues Les grandes marées

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Dominique Fabre

On a eu du grabuge chez moi. À peine les travaux terminés, - un an de bordel quand même -, on a eu une énorme fuite d’eau, des étages du haut ça ruisselait comme une grosse pluie d’orage, et ça traversait aussi dans l’ascenseur, tout est devenu spongieux. Ma voisine est descendue avec une lampe de poche pendant que je lui tenais la porte et puis, on s’est tous retrouvés dans la flotte, on a attendu les pompiers qui ont mis un long moment à arrêter l’inondation. Depuis quinze jours les gens du haut ne peuvent plus se laver et l’ascenseur est en congé longue durée ! On a signé une pétition, et pendant qu’on y est pourquoi ne pas leur demander de peindre la cage d’escalier, de nous faire un truc plus beau ? On n’est pas près de reprendre l’ascenseur, d’après un voisin militant. Il m’a raconté en les mimant la réunion au sommet entre les trois représentants des assureurs, celui de l’ascenseur, celui de l’immeuble et le petit dernier des travaux bâclés, ils avaient tous la mine patibulaire de gens qui ont grimpé tous ces étages à pied pour se faire refouler à l’entrée du paradis. Personne ne voulait rembourser les dégâts ! Est-ce à cause de ça que je rêve depuis trois nuits de la destruction d’un immeuble ? Dans mon rêve je nous vois, quelques centaines porte d’Ivry, on regarde une tour exploser lentement, au ralenti, ensuite on se fait nos adieux - je parle un chinois parfait et j’agite un petit drapeau britannique - avant d’aller vers le métro en poussant nos valises sur des caddies qui roulent tout seuls. J’ai déjà vu des destructions de barres en vrai, à Asnières Gennevilliers, ça fait un énorme boucan. Il n’y a pas de bruit dans mon rêve.

Il fait un temps merveilleux. Ici on va au café Pourpre pour en profiter, on boit un demi bien trop cher en surveillant d’un air goguenard sur l’écran de télé géant la chute de la bourse à Tokyo, New York, Londres et Paris. Aidons les riches ! Faut pas les laisser tomber ! Tout ça du café Pourpre, où en plus des auvents, ils ont installé de gros radiateurs extérieurs pour prévenir tous les aléas du climat. On vit dans l’opulence les derniers beaux jours. Le reste du quartier n’est quand même pas si vaillant, faut être clair, mais le café Pourpre tient bien la distance. Depuis que c’est wifi je vois parfois de jeunes personnes tapoter leurs ordis, à l’aise et souriantes, les lunettes de soleil en équilibre sur le sommet de la tête, et leur sourire vers leurs connaissances en terrasse n’a rien à voir avec le coup de tête distrait qu’on adresse aux autres gens quand on n’est même pas là pour rigoler. L’été indien continue sans s’en faire. À la télé, notre vieux gosse de riche de président en fait des tonnes mais les gens du café Pourpre coupent assez souvent le son. Je fais une allergie à ce type-là, m’a expliqué Gilles, un des garçons, on l’a trop entendu, c’est dingue, je supporte plus sa voix. J’ai hoché la tête, sournoisement gagné par une vague d’hypocondrie (lire plus bas). Il se croit au guignol ou quoi ? J’ai dit pour tâter le terrain. Ben… Peut-être hein. Remarque, c’est son métier, Gilles m’a répondu en haussant les épaules. Et l’inondation, c’est réglé ? Non… ça sèche.

Quand j’ai fini mon verre, la vague d’hypocondrie m’avait carrément balayé, hou là là. C’est que je deviens sourd d’une oreille. Je calcule dans ma tête ce qui va diminuer par deux, ce que je vais perdre tout à fait, et ce que je vais gagner si jamais ? Je me réveille parfois la nuit pour calculer. Je ne trouve jamais la même réponse. Cette fois j’ai attendu que ça se passe en me baladant entre les tours. En s’approchant, on croit que les étages se penchent vers vous, mais si on les compte trop vite, ceux du haut ont l’air de s’envoler les uns après les autres. Un jour, il ne restera donc rien de tout cela ? Je suis rentré par la rue Marcel-Duchamp, entre ses petits immeubles non inondés et ses ateliers d’artistes aux numéros pairs - des vrais - avec des vignes rougies grimpant sur les murs, et de placides sophoras qui frissonnent. J’aime bien la rue Marcel-Duchamp.

Ma sœur m’a appelé des États-Unis, elle est dans une charrette de trois mille employés, ils appellent ça outsourcing, elle ne se souvenait plus du mot français pour le dire. Et à Paris, comment ça va ? Ben ça va, il fait beau, mais qu’est-ce que tu vas faire ? Ce n’est pas son premier licenciement mais depuis quelque temps ça craint vraiment, la vie là-bas. Et Obama ? je lui demande. Oh… Lui… Non, elle ne compte pas trop sur lui pour le boulot. Personne ne parle plus d’Hillary, qui était sa préférée. Sarah Palin les fait rire jaune, une tueuse de caribous, elle est bien mieux en Alaska. Alors bon. Elle va se mettre tout de suite à chercher. Souvent, on se parle d’avant, nos vieux souvenirs ne chôment pas, c’est notre café Pourpre à nous. (Non, c’est sans doute beaucoup plus que ça).

Vers le milieu du mois le gardien de l’immeuble est rentré de vacances, les yeux encore écarquillés. Il est allé à la mer et il a adoré le spectacle des grandes marées. C’était sa première fois. Il a mis quelques jours à changer de regard, et du coup, pendant sa mue, il était d’excellente humeur, on a bien bavardé. Lui ça fait très longtemps qu’il est là. Bien sûr, l’envie de partir le démange parfois, et puis, le reste de sa vie le reprend. L’inondation. Une liste d’emmerdements longue comme le bras (sans oublier les sudokus du soir, la télé et les mots fléchés du matin). Alors il reste ! Mais ça m’a fait plaisir de voir ses yeux, lorsqu’il est assis juste en dehors de sa loge pour fumer sa cigarette, son regard de grande marée vers le boulevard des Maréchaux, où je vais prendre mon bus de ce pas (merde, sept minutes de retard !). Prenez bien soin de vous, fermez vos robinets, à bientôt !

Les grandes marées Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.